La migration comme métaphore
Jean-Claude Métraux a roulé sa bosse ici et ailleurs. Il ne vient pas seulement dans ce livre nous faire part de son expérience de professionnel de la santé, (pédopsychiatrie) ni de son engagement depuis de longues années à accueillir et à écouter dans son cabinet et au sein de l’association qu’il a fondé en Suisse (Appartenances) la souffrance des familles en situation transculturelle.
Il se propose aussi, arguments à l’appui, de prendre part aux débats actuels qui concernent la migration et nous invite à considérer cet événement comme un déplacement qui ne concerne pas seulement l’Autre, mais tout un chacun.
Nous serions tous des migrants puisque nous serions tous soumis dans nos vies à de nombreux mouvements de ruptures et de transformations.
Nous voilà donc conviés par l’auteur à parcourir nos propres pérégrinations qui éclairent nos migrations internes ou externes afin de retrouver ce qui dans nos existences fait trace et contribue à faire de nous ce que nous sommes devenus.
Si la migration est longuement évoquée ici comme métaphore selon une perspective phénoménologique chère à Jean-Claude Métrau nous ne pourrons cependant pas lui reprocher de s’en être tenu stricto senso à cette démarche.
L’auteur n’oubliera pas de retracer dans son ouvrage, dans une perspective socio économique et politico-historique, en France et en Suisse, et au regard des traitements réservés aux migrants dans ces deux pays, une histoire de la migration telle qu’elle s’est construite c’est à dire sur le principe du déficit et de l’exacerbation de différences à lire plutôt comme des menaces potentielles et non pas comme source de diversité et de richesse.
Aussi nous invite t-il, afin de ne pas rester coincé dans nos sales habitudes de méfiance, à nous tourner tout autant vers l’anthropologie avec ses théories de don et d’échanges que vers la théorie de la reconnaissance qui engage nos subjectivité dans la co-construction de liens où l’habituelle asymétrie dans les relations soignant-soigné ne devrait plus faire ni loi ni obligation.
L’éloge d’un savoir expérientiel complémentaire et indispensable à une culture professionnelle qui se décline dans le livre sous la forme de ce que J.-C. Métraux qualifie de paroles précieuses (ces dons de mots qui invitent à l’échange et qui disent la place centrale des usages de la parole dans la construction des liens avec nos semblables) retiendra également toute notre attention.
Un livre salutaire et enthousiaste. Un plaidoyer humaniste généreux en souvenirs d’enfance qui nous engage à réfléchir autrement à la migration.