Ce que la Chine nous apprend sur le langage, la société, l’existence
Si la Chine peut être perçue comme l’autre absolu de l’Occident, son « hétérotopie », ainsi que François Jullien en a fait l’hypothèse de base, l’examen de la pensée chinoise constitue une épreuve décisive de l’acte de penser. Et pour cela, rien n’est mieux que de s’adresser à ceux qui, comme Léon Vandermeersch, professeur à l’Ecole Pratique des hautes Etudes, ont une longue fréquentation de cet univers. Nul titre n’est plus pertinent pour présenter ce livre qui expose quelques points décisifs de ce que « la Chine nous apprend ». C’est un très petit ouvrage mais qui va à l’essentiel, comme savent le faire ceux qui, au soir de leur vie d’érudit connaissent la quintessence d’une civilisation et donc quelques-uns des principaux lieux de cette mise à l’épreuve : le langage, la grammaire, le rôle des rites, les types de domination sociale et politique. Est ainsi mise en évidence d’emblée la divergence totale entre les langues occidentale et la langue chinoise. Entre elles, existe l’écart fondamental entre « les langues flexionnelles (occidentales) [pour] qui la conceptualisation s’est appuyée sur les liaisons des mots entre eux marquées par les flexions » et « la langue isolante » des Chinois qui a pris appui sur « la sémantique des mots eux-mêmes. » De même, « la logique chinoise, souligne-t-il, est une logique de l’idéographie au lieu que la logique aristotélicienne est une logique de la parole. » Les écarts de fonctionnement culturel expliquent sans doute bien des malentendus que l’auteur relève, et que dans ces brefs chapitres il porte à vouloir approfondir en en identifiant les processus. Surtout, il nous invite à nous interroger sur les rencontres que nous faisons aujourd’hui de cette grande culture à travers ces migrants venus en Occident étudier ou vivre mieux. Même si, comme il le dit dans sa conclusion, « aujourd’hui, l’hétérotopie chinoise, dissoute dans la mondialisation, n’est plus qu’historique », ce qu’il nous apprend de ce qu’a été la civilisation chinoise nous stimule. Ses évolutions, ses conflits, et ses contradictions, ses diversifications avec les apports du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme (appelé ici chan) relancent notre pensée souvent endormie dans des certitudes séculaires. Même si cette tradition a sans doute eu un impact inconnu sur l’Occident depuis au moins le XVIIIe siècle des Lumières. Plus récemment Lacan « féru de chinois », s’est sans doute trouvé incité par ce détour à réexaminer la tradition freudienne, et à s’interroger sur les fonctions du langage. Sans parler bien entendu de C. G. Jung, auteur d’un Commentaire sur Le Mystère de la fleur d’or, écrit taoïste. Mais il est vrai que Jung est persona non grata dans nos milieux. L’ouvrage si dense et si précis de Léon Vandermeersch aidera sans doute largement à se pencher sur cet univers peu connu.