Dossier
© A+E=Balbusso Source D.G.
La place des pères dans la migration
Coordonné par Abdessalem YAHYAOUI et Julie AZOULAY
Publié dans : L’autre 2024, Vol. 25, n°2
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Être père en situation migratoire est difficile lorsque ce dernier est soumis aux bouleversements de la rupture géographique, culturelle et lorsque le système social ne lui accorde pas la place qui lui revient. Il lui est difficile encore de défendre sa position lorsqu’on exige de lui d’être père en même temps qu’on lui refuse le droit d’exercer la paternité telle qu’elle lui a été transmise. Dès lors sa position est paradoxale et de ce fait intenable. Pire encore, elle ouvre la voie vers une relation complexe père-enfants où l’inversion des générations et les risques de rupture des liens de filiation restent possibles. Relation qui pourrait inciter un enfant à dénoncer à tort, par vengeance, son père et qui pourrait obliger un père à dénoncer son enfant à la justice non pour le protéger mais pour se protéger lui-même contre l’agression et l’humiliation que sa propre progéniture lui adresse. Aussi, cette position du père est à inscrire dans un contexte beaucoup plus large que le simple cadre de l’exil. Elle est à comprendre à travers un rapport global entre le mythe familial et l’idéologie institutionnelle, entre le désir de changement et la crainte de l’effondrement, entre les besoins fondamentaux du couple, des enfants et les contraintes d’appartenance du père. Ce rapport semble souvent conflictuel lorsque l’institution cherche, par certains côtés, à annuler les différences culturelles en leur imposant sa propre logique et dans la mesure où elle traite les problèmes familiaux sous l’angle individuel et non à travers une conception systémique groupale. C’est ainsi que les mythes familiaux qui ordonnancent les différences des sexes, des générations et des cultures et qui assignent à chacun une place et une fonction au sein du groupe familial ne sont pas forcément compris et interprétés de l’intérieur de leurs systèmes de représentations culturelles. De ce fait leurs interprétations risquent d’induire plus de désordre que de stabilité dans le fonctionnement du groupe famille et d’exclure certains, en l’occurrence les pères, dont la présence est plus que nécessaire pour garantir la fonction de tiers et faciliter, de manière constructive, les processus de changement au sein des différents membres de la famille.
Dans ce dossier, nous avons tenté, à travers les différentes contributions, de recadrer la place du père dans le mythe familial et l’imaginaire collectif, dans les situations de rupture et à travers les interactions quotidiennes qu’il engage dans ses relations de couple, avec ses enfants et avec l’environnement dans lequel il vit. Son impact sur sa famille, sur ses enfants est indéniable, et son absence se révèle source de désordre à l’échelle individuelle ainsi qu’au niveau des liens de filiation et d’appartenance.
Qu’il se présente comme peu ou pas engagé, non consistant parfois jusqu’à l’effacement, le père de l’immigration est un ancêtre fondateur d’une nouvelle histoire familiale. Et comme tel, il est le garant d’un héritage culturel à transmettre qui peut faire de lui un être déconnecté de son environnement familial et social. Cependant, il est traversé comme tous les membres de sa famille par les processus de changement et a besoin qu’on le reconnaisse dans sa mission et qu’on l’accompagne pour son propre changement. Les effets de ce changement se révèlent souvent à travers les consultations transculturelles. Ces espaces d’écoute aident à la restauration de la figure du père, permettent une meilleure distribution des places de chacun dans la famille et dans la filiation et une circulation assumée de l’histoire familiale et de l’héritage culturel.
Abdessalem YAHYAOUI et Julie AZOULAY-SAMUEL