Brèves
Tu reviens quand ?
Marion GÉRY
Marion GÉRY est psychologue clinicienne à Marseille.
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Marcelle s’en est allée cette nuit, dans son sommeil, vers d’autres horizons.
Une bien belle dame, pédopsychiatre et psychanalyste, que j’ai eu la chance de rencontrer au comité de rédaction de la revue L’autre (Cliniques, Cultures et Société) dirigée par Marie Rose Moro qui l’avait invitée à nous y rejoindre.
Marcelle Geber a travaillé avec Jenny Aubry et John Bowlby. Elle s’est intéressée aux carences de soins maternels précoces, ainsi qu’à leurs conséquences sur le bébé. Elle a fondé et dirigé les centres de guidance infantile de l’Aisne (Soissons, Laon, Saint Quentin). Forte de cette expérience, elle a été par la suite mandatée par l’OMS, dans les années 1950, afin d’étudier les particularités de la relation mère-bébé au cours du kwashiorkor en Afrique. Elle fut la première à démontrer, dans ses études de terrain en Ouganda et au Mozambique, que le kwashiorkor était en fait lié à l’association d’une dénutrition et de troubles psychologiques affectant la dyade mère-bébé. Chercheur au Centre Internationale de l’enfance, elle a écrit de nombreux articles qui restent aujourd’hui, pour tous les praticiens, de solides références. Elle a reçu, le 2 juillet 2012, à la Maison de Solenn-Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin, la légion d’honneur qui lui a été remise par le Professeur Marie Rose Moro.
Combien de fois, au début de notre rencontre, n’avons-nous pas pris ensemble le taxi pour aller à l’Hôpital Avicenne ? Elle était encore souvent sollicitée pour témoigner de ses pratiques transculturelles qu’elle avait découvertes bien avant nous. Nos échanges étaient passionnants et, rapidement, nos relations sont devenues intenses. Le hasard faisant souvent bien les choses, j’ai vite découvert qu’elle habitait rue de la source – une adresse qui lui allait très bien – dans le même quartier que ma mère. Toute sortie avec elle, bras dessus, bras dessous (elle disait que j’étais ses yeux), était une petite fête, toujours pittoresque et pleine de fous rires.
Marcelle aimait la vie, le soleil, la mer, les voyages et ces dernières années, tout particulièrement, le sud de France. Elle y venait volontiers car elle y appréciait le climat et certains paysages qui lui rappelaient la Grèce. Elle aimait prendre des bains de soleil, arpenter le jardin tout en veillant à ne pas trébucher. Elle admirait, comme tous les citadins, le potager de mon mari, l’interrogeant (un brin moqueuse) sur l’origine de ces drôles de vieux sabots de bois, habilement cloués par son père sur une petite planche, afin de se déplacer sans abîmer les plantations. Elle aimait les fleurs et m’avait offert, à l’occasion de mon anniversaire, un petit rosier églantine dont elle surveillait l’éclosion des bourgeons rouges. Combien de fois nous sommes-nous baigné ensemble en dissertant sur le monde ? Dans ses moment-là, elle aimait me surprendre et me raconter qu’elle avait déjà nagé, en Afrique sub-saharienne, tout près de crocodiles dont elle ignorait la présence. Elle nageait toujours sur le dos, parfois à perte de vue, alors que nous tentions de l’appeler, inquiets et médusés sur la berge, après qu’elle ait totalement disparu de notre champ de vision. Au fil du temps et des années, je l’ai laissée s’installer en moi comme une seconde mère. De ces mères qui n’ont pas marqué nos chagrins d’enfants, de celles que l’on peut idéaliser, admirer et que l’on se surprend à aimer sans passif, sans rancunes. Ma propre mère a accepté la présence de cette amitié si singulière sans reproches et sans envie. Elle était assez fine pour savoir que personne au monde ne pouvait entièrement nous combler et n’en n’a pas pris ombrage. Il n’y avait rien à comparer, Marcelle était tout simplement autre, et si originale !
Elle avait un sacré caractère et une curiosité sans limites. Je crois que c’est ce que j’ai aimé le plus. Elle savait aussi profondément écouter, toujours prête à jouir de l’inattendu, du non conforme, se tenant à bonne distance des polémiques stériles. Elle a si souvent relu mes textes avec son seul œil valide, munie de sa grosse loupe qu’elle posait régulièrement sur le haut de ses seins pour marquer une pause, réfléchir ou demander un éclaircissement. J’ai adoré nos retrouvailles parisiennes dans son petit appartement terriblement encombré. A chaque fois, après avoir fait le code et poussé la lourde porte de l’immeuble, je montais les deux étages quatre à quatre car je savais qu’elle m’attendait toujours avec impatience, comme si le monde entier allait entrer chez elle. Nous fêtions tout cela avec un doigt de porto, des calissons et un bon repas préparé par sa fidèle Sylvia. Mon dieu, nous veillions si tard la nuit…Un petit lit m’attendait dans son bureau. Elle y avait rassemblé les œuvres et la collection de chouettes de Ben, son défunt mari graveur et artiste. Cette amoureuse de la Grèce m’avait un jour conté que la chouette était le symbole de la sagesse, dans le monde antique, et qu’elle était liée à la déesse grecque Athéna, à laquelle Homère attachait l’épithète de glaukopis : « aux yeux de chevêche », pour sa perspicacité dans les ténèbres. Perspicace ? Elle l’était tant Marcelle, ne se contentant jamais d’à peu près ! Le lendemain matin, après quelques heures de sommeil, je partais sur la pointe des pieds, tandis qu’elle dormait encore paisiblement, laissant sur son bureau, écrits bien gros, quelques mots doux lui promettant de revenir bien vite. Elle me disait, en effet, parfois comme pour se rassurer : « Mais dis-moi, on est amies ! C’est drôle, non, avec une telle différence d’âge ? On s’en fout ? Tu reviens quand ? »
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