Article de dossier
© Rémi Kaupp, Avenue espagnole, Cap Haïtien, Nord, Haïti, 26 septembre 2006 Source (CC BY-SA 2.0)
Trajectoires résilientes et logiques d’espoir chez les enfants des rues en Haïti
Publié dans : L’autre 2016, Vol. 17, n°3
Dossier : Enfants dans les rues du monde
Amira KARRAY
Amira Karray est maître de conférences en psychopathologie et psychologie clinique, Laboratoire de Psychopathologie clinique langage et subjectivité, Aix-Marseille Université.
Nephtalie Eva JOSEPH
Nephtalie Eva Joseph est Doctorante en psychologie, Laboratoire de Psychopathologie et Psychologie Médicale, Université de Bourgogne Franche-Comté.
Jude-Mary CÉNAT
Jude-Mary Cénat, PhD, est chercheur postdoctoral, Equipe des IRSC sur les traumas interpersonnels, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal.
Daniel DERIVOIS
Daniel Dérivois est professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l'Université de Bourgogne Franche Comté.
Aide Médicale Internationale. Recensement enfants et jeunes des rues de Port-au-Prince. Port-au-Prince: AMI; 2011.
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17450128.2014.934750
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Pour citer cet article :
Karray A, Joseph N E, Cenat J-M, Derivois D. Trajectoires résilientes et logiques d’espoir chez les enfants des rues en Haïti. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2016, vol. 17, n°3, pp. 265-274
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/trajectoires-resilientes-logiques-despoir-chez-enfants-rues-haiti/
Trajectoires résilientes et logiques d’espoir chez les enfants des rues en Haïti
Ce travail s’intéresse au parcours de résilience d’enfants des rues en Haïti. Ces enfants constituent une population à risque qui a été davantage fragilisée au niveau psychique, sanitaire et social, suite au tremblement de terre de janvier 2010. Dans le cadre d’une recherche ANR sur la résilience et le processus créateur chez les enfants et adolescents haïtiens victimes de catastrophes naturelles1, des ateliers de peinture ont été mis en place auprès d’un groupe d’enfants des rues. Animés par des peintres professionnels, une psychologue et une travailleuse sociale, ils ont été accompagnés d’entretiens. A travers une analyse transversale des entretiens (N = 21) et en appui sur les peintures de ces enfants, cet article met en évidence les caractéristiques des trajectoires de vie des enfants des rues et les tuteurs de résilience pour ces enfants dans le contexte post-séisme en Haïti. Ces résultats mettent en avant la place de la créativité dans le processus résilient ainsi que l’importance de l’identité groupale.
Mots clés : catastrophe, créativité, enfant, errance, groupe d’appartenance, Haïti, peinture, processus psychique, résilience, séisme, traumatisme psychique.
Resilient and logical hope pathways in street children in Haiti
This work is focused on the resilient pathway of street children in Haiti. These children are populations at risk who have been further fragilized on a psychic, sanitary and social level following the earth quake in January 2010. Within the framework of a research project by the National Research Agency on resilience and the creative process with Haitian children and adolescent victims of natural catastrophes2, painting workshops were set up for a group of street children. Animated by professional painters, a psychologist and a social worker, the children were interviewed. Based on a transversal analysis of interviews (N = 21) supported by these children’s paintings, this article highlights the characteristics of these street children’s pathways and the resilience tutors for these children in the earthquake aftermath in Haiti. These results spotlights creativity in the resilience pathway, along with the importance of group identity.
Keywords: catastrophe, child, creativity, earth quake, group membership, Haiti, painting, psychic process, psychic trauma, resilience, vagrancy.
Trayectorias de resiliencia et lógicas de esperanza en los niños de la calle en Haití
Este trabajo se interesa en la resiliencia en los niños de la calle en Haití. Estos niños constituyen una población inicialmente vulnerable y que lo fue aún más a nivel psíquico, sanitario y social después del terremoto de enero 2010. A un grupo de niños de la calle se le ofreció participar en talleres de pintura en el contexto de una investigación ANR sobre la resiliencia y el proceso creador en menores de ese país víctimas de catástrofes naturales. Estos talleres eran animados por pintores profesionales, una psicóloga y una trabajadora social. La realización de entrevistas con los menores completaba la intervención. Por medio del análisis transversal de estas entrevistas (N = 21) y apoyándose en las pinturas de los menores, este artículo evidencia las características de las trayectorias de vida de los menores de la calle y de los tutores de resiliencia en el contexto post-sismo. Estos resultados resaltan la importancia de la creatividad y de la identidad grupal en el proceso de resiliencia.
Palabras claves: afiliación grupal, catástrofe, creatividad, errancia, Haití, niño, pintura, proceso psíquico, resiliencia, sismo, traumatismo psíquico.
Cette étude porte sur les trajectoires de résilience d’enfants et d’adolescents des rues en Haïti. Il s’agit d’une population à risque dont le nombre a considérablement augmenté suite au tremblement de terre de janvier 2010. En effet, un recensement fait en 2011 a comptabilisé 3380 jeunes vivant dans les rues de Port-au-Prince, alors qu’ils auraient été 2715 en 2009. Ceux-ci sont de plus en plus jeunes (Aide Médicale Internationale 2011). Outre l’augmentation du nombre, cette population a été aussi davantage fragilisée au niveau psychique, sanitaire et social, ainsi que par le traumatisme collectif de la population haïtienne suite au séisme.
Au travers des pays et des cultures, les enfants des rues sont aujourd’hui considérés comme un « phénomène » universel (Emmanuelli 2011), ils ont souvent eu à éprouver des ruptures et des privations dans leurs environnements premiers. Les enfants des rues sont souvent issus de familles qui n’ont pas de moyens d’existence suffisante. Ils proviennent pour la plupart de milieux ruraux et sont majoritairement des garçons. Ils se rassemblent souvent en bande, la rue est leur principal lieu de survie, ils développent des stratégies de survie physique et émotionnelle pour vivre (travail, mendicité, vol, prostitution, etc.). Leurs relations familiales sont faibles si elles existent et ils sont exposés à des risques spécifiques importants (Lucchini 1998 ; UNICEF 2004). Manquant de sécurité de base (Winnicott 1975), leur inscription dans le lien à l’autre reste précaire, à la fois désiré et risqué. Ces vécus sont accentués avec le regard que la société a sur eux, qui les assigne à une place d’exclus différents (Armagnague 2016), mais qui font partie de cette même société. Leurs parcours cumulant les évènements douloureux, les facteurs de stress, des dangers divers et les difficultés de bénéficier d’un environnement stable, les contraignent à une vie où l’hypovigilance est nécessaire et à développer des stratégies de survie (Kommegne et al. 2014). Parfois, la vie dans la rue est elle-même une stratégie de survie, leur permettant de se protéger des maltraitances (Berchini 2015).
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