Article de dossier

© Luis Deliz Water 7 janvier 2011. Source (CC BY 2.0)

Privation des rites de veuvage Akus et indignation

Résurgence de la problématique matrimoniale de la dot, du mariage et de la sexualité chez les veuves béti camerounaises

et


André WAMBA

André Wamba est Doctorant, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, 44 rue Gustave Moynier 1202, Genève, Suisse.

Vandelin MGBWA

Vandelin Mgbwa est Ph.D. en psychologie clinique, professeur associé à l’École Normale Supérieure de Yaoundé, Université de Yaoundé I/Cameroun.

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Pour citer cet article :

Wamba A, Mgbwa V. Privation des rites de veuvage Akus et indignation. Résurgence de la problématique matrimoniale de la dot, du mariage et de la sexualité chez les veuves béti camerounaises. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°1, pp. 38-52


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/privation-des-rites-de-veuvage-akus-et-indignation/

Privation des rites de veuvage Akus et indignation: résurgence de la problématique matrimoniale de la dot, du mariage et de la sexualité chez les veuves béti camerounaises

L’Akus est un rite funéraire permettant d’affranchir la conjointe survivante des droits du conjoint décédé sur un éventuel remariage ou rapport sexuel. Les veuves privées du rite développent un sentiment d’indignation et une mésestime de soi dues au fait qu’elles risquent d’être exclues du marché matrimonial. L’étude questionne les évènements liés à la privation des épreuves rituelles et cherche à comprendre la manière dont ils s’articulent avec la problématique matrimoniale de la dot et de la sexualité. Elle est qualitative et a concerné 7 veuves béti. Les données recueillies à partir des entretiens individuels ont été analysées grâce à l’analyse de contenu, en mettant l’accent surtout sur la signification psychosociologique de la privation aux épreuves de veuvage. Les veuves manifestent une honte qui est à l’origine du traumatisme psychique, et souffrent de l’impossibilité de rompre définitivement avec les droits/pouvoirs du défunt conjoint sur leur sexualité et sur un éventuel remariage.

Mots-clés: veuvage, rite funéraire, travail de deuil, mariage, sexualité, argent, insertion sociale, honte, souffrance psychique, psychologie sociale, Cameroun, Béti.

Mots clés :

Deprivation of Akus widowhood rituals and indignation: resurgence of the issue of matrimonial dowry, marriage and sexuality of Beti Cameroonian widows

Akus is a funerary ceremonial act enabling the surviving spouse to be liberated from the rights of the deceased spouse upon a prospective remarriage or sexual intercourse. The widows who are forbidden to carry out the ritual develop a sense of indignation thus lowering their self-esteem due to the fact that they might be left out of the matrimonial market. This investigation questions the denying of rituals and seeks to comprehend the way they deal with the matrimonial issues of dowry and sexuality. This qualitative study focuses on 7 Beti widows. The data collected from individual interviews were analysed with emphasis placed on the psycho-sociological effect of being deprived of widowhood hardship. The widows manifest a traumatic shame which is at the origin of the psychological trauma they are affected by. They suffer from being deprived of the ceremonial act and the impossibility of breaking off once and for all with the rights/powers of their deceased spouse with regard to sexuality and prospective remarriage.

Keywords: widowhood, funerary ritual, the process of mourning, marriage, sexuality, money, social integration, shame, psychological suffering, social psychology, Cameroon, Beti.

Keywords:

Privación de los ritos de viudez Akus e indignación: resurgencia de la problemática matrimonial de la dote, del matrimonio y de la sexualidad en las viudas beti camerunesas

El Akus es un rito funerario que permite a la viuda liberarse de los derechos que sobre ella tenía su marido fallecido, en la eventualidad de que ésta se vuelva a casar o a tener relaciones sexuales. Las viudas que no acceden al rito desarrollan un sentimiento de indignación y una pobre estima de ellas mismas, ya que corren el riesgo de quedar excluidas del mercado matrimonial. El estudio cuestiona los eventos relacionados con la privación de pruebas rituales y pretende comprender la manera en que esos eventos se articulan con la problemática matrimonial de la dote y la sexualidad. Se trata de un estudio cualitativo sobre 7 viudas beti. Los datos recolectados a partir de entrevistas individuales fueron analizados gracias al análisis de contenido, resaltando sobre todo la importancia del significado psicosociológico de la privación de las pruebas de viudez. Las viudas manifiestan una vergüenza traumática y sufren de la imposibilidad de romper definitivamente con los derechos/poderes que tenía el compañero difunto sobre su sexualidad y sobre un eventual nuevo matrimonio.

Palabras claves: viudez, rito funerario, trabajo de duelo, matrimonio, sexualidad, dinero, inserción social, vergüenza, sufrimiento psíquico, psicología social, Camerún, Beti.

Palabras claves:

L’Akus est un rite funéraire de veuvage auquel on soumet la femme qui a perdu son conjoint. Le rite permet de laver rituellement celle-ci de la souillure funèbre ; de lever les tabous sexuels qui empêchent sa réinsertion dans le marché matrimonial. Alors que la littérature sur la privation des rites de veuvage lie, très souvent, l’indignation subie par la veuve à un travail de deuil non accompli, la veuve elle-même semble la rattacher, par contre, à la privation des rites de veuvage et aux difficultés de réinsertion dans le marché matrimonial. Cette idée est repérée chez très peu d’auteurs, à l’exception de Bloch et al. (1982 : 139) pour qui les rites de veuvage impliquent la reprise d’une nouvelle alliance matrimoniale ; et de Noret et al. (2011 : 145) d’après qui les veuves tiennent impérativement à s’assurer qu’à l’issue de ces rites, le conjoint décédé n’hypothèquera pas leur sexualité. Sans ces rites, soulignent les auteurs, les veuves ne seraient pas libres de se remarier ou d’entretenir des rapports sexuels si elles le souhaitent ou en éprouvent le besoin, ce qui constitue une potentielle source d’anxiété/angoisse et d’inconfort psychique. En effet, il est reconnu chez les veuves privées des épreuves du rite de veuvage que les préoccupations matrimoniales, exprimées à la fois comme des injonctions sociales et un idéal individuel à atteindre à tout prix, sont récurrentes dans leurs discours. L’analyse du sens, du rôle et de la fonction qu’elles donnent à ces épreuves révèlent qu’elles sont comme prises en otage entre les injonctions sociales qui érigent le bris des tabous sexuels imposés, suite au décès du conjoint, au rang de critère capital de réinsertion dans le champ matrimonial et l’impossibilité de s’inscrire dans le dispositif du rite Akus. Les difficultés de répondre à ces injonctions et de s’inscrire dans le dispositif rituel Akus dont la portée psycho-socio-thérapeutique est reconnue se traduit, chez les veuves béti déconsidérées, par un sentiment d’indignation, de honte, de blessure narcissique, d’invisibilité sociale et de mépris, car si « l’autre », à savoir un éventuel prétendant « venait à l’apprendre », au sens de Freud (1896), elles s’exposent au danger de demeurer éternellement dans le statut ambigu de veuve. C’est que ce sentiment touche à l’identité de l’être de la veuve et à son image ; il a à voir avec « perdre la face » (Goffman 1974) ; et il révèle, selon Selz (2011 : 57), une défaillance/blessure narcissique qui se traduit par le traumatisme psychique. Si les psychanalystes ont pu établir un lien entre ce traumatisme et la honte, les préoccupations socio-matrimoniales qui sous-tendent le sentiment de honte chez les veuves béti privées de l’Akus n’ont jamais encore été explorées, et c’est ce que nous proposons d’étudier ici. On comprend que la privation des épreuves rituelles du veuvage ne suffit pas, à elle seule, pour engendrer de l’indignation et la honte qu’éprouvent les veuves. Si tel était le cas, on peut se demander alors de quoi souffrent-elles : du sentiment de honte et de l’indignation ou de l’invisibilité socio-matrimoniale ? Par ailleurs, comment ce sentiment s’articule-t-il avec la privation des veuves aux épreuves rituelles du veuvage et éclaire-t-il, en même temps, la problématique matrimoniale de la dot et de la sexualité ?

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