Article de dossier

© Michèle FIELOUX - Grenier à mil et gerbes de mil Source D.G.

Le goût amer de la séparation

Un rituel de clôture de deuil (lobi, Burkina Faso)


Dossier : Morts ou vifs

Michèle FIÉLOUX

Michèle Fiéloux est anthropologue et réalisatrice au Laboratoire d’Anthropologie sociale (CNRS), Collège de France, 52 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris.

Augé M. La guerre des rêves. Exercices d’ethno-fictions. La Librairie du XXe siècle: Le Seuil; 1997.

Cartry M. D’un rite à l’autre: la mémoire du rituel et les remémorations de l’ethnologue. In: Le déni de réalité. Incidence 2; 2006. p. 153-166.

Fiéloux M. et Jacques L. Les Mémoires de Binduté Da, film 52, 1991. https://vimeo.com/28190568.

Fiéloux M. Biwanté. Autobiographie d’un migrant lobi. Karthala. 1993.

Fiéloux M. Le retour du père. In: Le deuil et ses rites III, Systèmes de Pensée en Afrique Noire, 13; 1994.

Héritier F. La pensée en mouvement. Paris: Odile Jacob; 2009.

Hertz R. La représentation collective de la mort. Année sociologique ; 1907.

Pour citer cet article :

Fiéloux M. Le goût amer de la séparation. Un rituel de clôture de deuil (lobi, Burkina Faso). L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°3, pp.299-306


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/le-gout-amer-de-la-separation/

Le goût amer de la séparation. Un rituel de clôture de deuil (lobi, Burkina Faso)

Analyse du rituel de clôture de deuil lobi (Burkina Faso) concernant la veuve et son défunt mari, généralement accompli plusieurs mois après le décès, dans le cadre du rituel des deuxièmes funérailles. La notion de séparation prend ici un sens particulier. Il s’agit d’une procédure visant à dédoubler deux êtres fortement reliés l’un à l’autre au fil du temps. A force de se côtoyer, de s’unir, d’échanger leurs humeurs corporelles (substances sexuelles, sang, sueur, salive, odeur…), ils deviennent comme «deux éléments soudées», ne formant plus qu’un seul corps (tombiribiel). La complexité du rituel est fonction de la durée du mariage et donc du temps de l’imprégnation de ces humeurs.

Mots clés : Afrique, Burkina Faso, couple, deuil, Lobi, rite funéraire, société traditionnelle, veuvage.

The bitterness of separation. The closing ritual of mourning (lobi, Burkina Faso)

The analysis of the Lobi closing ritual of mourning (Burkina Faso) involves the widow and her deceased husband. This ritual is carried out several months after the death as a second funerary ritual. The notion of separation takes on a particular meaning. This involves a procedure focusing on doubling 2 beings who have been tightly connected to each other over time. By constantly being in contact, by joining together and by exchanging body liquids (sexual substances, blood, sweat, saliva and odors) they become like “2 welded entities” forming 1 body (tombiribiel). The complexity of the ritual depends on the duration of the marriage and thus the time of being impregnated with these body liquids.

Keywords: Africa, Burkina Faso, couple, funerary rituals, Lobi, mourning, traditional society, widowhood.

El sabor amargo de la separación. Una ceremonia de clausura de luto (lobi, Burkina Faso)

Se analiza el ritual lobi (Burkina Faso) de clausura del luto en el que intervienen la viuda y su difunto esposo, y que se realiza generalmente varios meses después del fallecimiento, como parte del ritual del segundo funeral. La noción de separación adquiere un significado particular. Se trata de un procedimiento que busca separar dos seres fuertemente conectados entre sí con el tiempo. A fuerza de verse, de unirse, de intercambiar sus humores corporales (sustancias sexuales, sangre, sudor, saliva, olor…), se convierten en “dos elementos fusionados”, que forman un solo cuerpo (tombiribiel). La complejidad del ritual depende de lo que haya durado el matrimonio y, por ende, de la duración de la impregnación de los humores.

Palabras claves: Africa, Burkina Faso, duelo, Lobi, pareja, rito funerario, sociedad tradicional, viudez.

La question traitée ici concerne la notion de séparation entre deux personnes mais aussi entre deux mondes, vivants et morts, telle qu’elle est mise en scène dans les rituels funéraires lobi (Burkina Faso) et dans les rituels destinés aux mourants, ceux « qui n’en finissent pas de mourir ». Il existe, semble-t-il, quelque chose de commun à l’ensemble de ces situations très différentes. A savoir la nécessité d’établir ou de reconnaître publiquement la relation de proximité, voire de similarité entre deux personnes, comme si elles n’en formaient plus qu’une, pour pouvoir enclencher le processus de séparation. On met en scène toute une « fiction » de l’identique, préalable de l’acte rituel séparateur proprement dit. Comment inciter par exemple le mourant à couper le fil qui le retient à la vie ? Un semblable – qui n’est pas nécessairement un parent- doit réaliser au nom de l’intéressé l’acte le plus évocateur, « identificateur » de sa personne, celui dans lequel elle excellait et/ou pour lequel elle manifestait un goût, un attrait particulier. S’agissant d’un homme, le substitut cherche à le rendre présent de la façon la plus concrète, il utilise ses outils ou ses armes, reprend ses habitudes pour partir à la chasse ou pour nourrir ses volailles, par exemple. De même pour une femme, potière réputée, qui prenait plaisir, selon ses proches, à pétrir la terre. L’imitatrice doit savoir rendre le savoir-faire et le plaisir éprouvé. Car c’est grâce à la mimesis la plus aboutie qu’on peut induire chez le mourant le sentiment qu’une part de lui, une trace, lui survivra. Le geste final du mime – qu’il s’agisse pour le chasseur de tirer sur l’animal ou pour la potière de lisser les bords d’une jarre – est censé induire, de manière synchronique, le dernier souffle du mourant. Dans le même sens, dans le cadre des rituels funéraires, une représentation mimée de la vie du défunt doit être réalisée face au défunt (te), principal spectateur, « installé » à l’ombre d’un arbre ou lors de ses deuxièmes funérailles, devant l’objet-relique1 qui le représente en tant que « mort-vif », par des homologues susceptibles de le remplacer dans un domaine d’activités ou un autre. Le mime a pour fonction de forger une image spécifique pour le futur ancêtre, tout en reconstituant, à travers des semblables, ses différents groupes d’appartenance.

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  1. La relique appelée bii, pleurs, du nom donné au rituel des premières funérailles, est composée d’objets associés à un certain état du mort (cadavre sur le point d’être enterré), notamment un morceau de la natte ayant servi de linceul, des cauris, offrandes-viatiques, donnés pour le voyage du défunt dans l’au-delà. (Fiéloux 1994:165)
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