Article de dossier

© Magdalena Roeseler, Paris, 1er avril 2017 Source (CC BY 2.0)

L’approche clinique transculturelle en expertise psychologique pénale

et


Caroline BARBARAS

Caroline Barbaras est psychologue clinicienne, agrégée de philosophie. Service médico-psychologique régional (SMPR) – Pôle personnes sous main de justice - Hôpital Paul Guiraud de Villejuif, Centre Pénitentiaire de Fresnes - allée des Thuyas, F-94260 Fresnes, expert près la Cour d’Appel de Paris.

Alice TITIA RIZZI

Alice Titia RIZZI est psychologue clinicienne, à la maison de Solenn (MDA) de l’hôpital Cochin, au Centre Babel, enseignante chercheuse à l’Université PARIS Cité et à l’INSERM. Elle fait partie du comité de rédaction de la revue L’autre et du bureau de l’AIEP. Elle a effectué une thèse à propos des dessins d’enfants, et dirige le séminaire : « Mieux écouter le dessin d’enfants » à PARIS. Elle a théorisé le génogramme transculturel en 2010, actuellement, elle coordonne une recherche autour de la théorisation du contre-transfert sur le dessin (groupe D-traces).

Bastide, R. (1970). Préface aux Essais d’ethnopsychiatrie générale de G. Devereux. Paris, France: Gallimard.

Bruno, R., Cook-Darzens, S. (2001). Les hommes et la fonction paternelle dans la famille antillaise. Santé Mentale au Québec, XXVI, 160-180.

Harel, M. (2018, novembre). Prostituées nigérianes victimes du juju. Le Monde diplomatique, https://www.monde-diplomatique.fr/2018/11/HAREL/59215

Lefaucheur, N., Brown, E. (2011). Relations conjugales et configurations parentales à la Martinique. Revue des politiques sociales et familiales – Réalités sociales et politiques publiques dans les DOM, 106, 9-23.

Nathan, T. (1988). Le sperme du diable. Eléments d’ethnopsychothérapie. Paris, France: P.U.F.

Radjack, R., Baubet, T., El Hage, W., Taieb, O., Moro, M. R. (2012). Peut-on objectiver et éviter les erreurs diagnostiques en situation transculturelle? Annales Médico-Psychologiques, 170(8), 591-595.

Réal, I., Cohen, H., Koumentaki, C. & Moro, M. R. (2014). Une approche ethnopsychiatrique de la psychose. L’autre, 15(3), 328-345.

Sturm, G., Guerraoui, Z., Raynaud, J. P. (2016). Approches transculturelles et interculturelles dans la psychiatrie française. EMC – Psychiatrie, 13(3), 1-7.

Pour citer cet article :

Barbaras C, Titia Rizzi A. L’approche clinique transculturelle en expertise psychologique pénale. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2020, volume 21, n°3, pp. 297-305


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/lapproche-clinique-transculturelle-en-expertise-psychologique-penale/

L’approche clinique transculturelle en expertise psychologique pénale

Cet article établit la nécessité de prendre en considération l’approche transculturelle dans le cadre des expertises psychologiques ordonnées dans une procédure pénale. Elle permet d’éviter trois écueils auxquels le psychologue peut se confronter s’il ne tient pas compte des théories étiologiques du mal ou du désastre que tout sujet produit à partir de sa propre culture: la dissolution de la singularité du sujet dans l’universalité du droit; le piège de la question de la crédibilité; le sur-diagnostic de psychose dans le champ pénal. Le sujet du droit est appréhendé ici dans son rapport à la culture en tant que Culture et par le biais du discours qu’il produit de manière singulière sur ce rapport. Trois cas cliniques illustrent cette méthode au service de l’avènement de l’universel concret dans le champ pénal.

Mots clés : croyance, culture d’origine, expertise psychologique, psychiatrie transculturelle.

A transcultural clinical approach to psychological evaluations in penal settings

This article sets out the need to integrate a transcultural approach in the setting of psychological evaluations ordered in penal procedures. This approach makes it possible to avoid three etiological pitfalls with which the psychologist is confronted if he or she fails to integrate the etiological theories of evil (misfortune) or disaster that all subjects produce from their own culture: the dissolution of the subject’s singularity in the universality of law, the pitfall of the issue of credibility,; and an over-diagnosis of psychosis in the penal sphere. The legal issue is apprehended here in its relationship with culture in the sense of Culture, and by way of the singular discourse that the subject produces on that relationship. Three clinical cases illustrate this method which fosters the advent of a concrete universal in the penal sphere.

Keywords: belief, culture of origin, psychological expertise, transcultural psychiatry.

El enfoque clínico transcultural en el peritaje psicológico en criminología

Este artículo muestra la necesidad de considerar el enfoque transcultural en el contexto de los peritajes psicológicos ordenados en los procesos penales. Lo que permite evitar tres problemas a los que puede enfrentarse el psicólogo si no tiene en cuenta las teorías etiológicas del mal o del desastre que cualquier sujeto produce desde su propia cultura: la disolución de la singularidad del sujeto en la universalidad del derecho ; la trampa de la cuestión sobre la credibilidad; el sobrediagnóstico de la psicosis en el ámbito penal. El sujeto de derecho se entiende aquí en su relación con la Cultura y a través del discurso que él mismo produce de manera singular sobre esta relación. Tres casos clínicos ilustran este método al servicio del acceso de lo universal concreto en el campo penal.

Palabras claves: creencia, cultura de orígen, peritaje psicológica, psiquiatría transcultural.

Universel abstrait, relativisme et clinique ethnocentrée : les trois écueils épistémologiques possibles de l’expertise psychologique

Le cadre de l’expertise psychologique pénale, défini par le Code de Procédure Pénale, est par essence « universaliste » et n’a pas pour vocation de prendre en compte les déterminants singuliers et culturels des individus auxquels l’expertise s’applique. D’une part, le sujet que le clinicien examine à la demande d’un juge d’instruction ou sur réquisition du procureur de la République (auteur ou victime présumés d’infraction) est un sujet de droit – universel – conséquence directe de la personne juridique, universelle également en son essence même. D’autre part, la mission de l’expert psychologue « ne peut avoir pour objet que l’examen de questions d’ordre technique »1, ce qui signifie que, comme « sachant », l’expert doit produire un savoir exempt de tout jugement sur la qualification pénale initiant l’expertise, mais aussi de toute considération sur les coordonnées culturelles du sujet examiné.

Rappelons ici cette règle de droit selon laquelle une expertise psychologique peut être ordonnée pour toute personne âgée de moins de vingt-cinq ans, pour une personne récidiviste, pour un auteur de coups et de blessures volontaires (a fortiori de meurtre et d’assassinat), de délit sexuel (a fortiori de crime sexuel), d’incendie volontaire, si la déchéance de l’autorité parentale peut être prononcée ou bien encore si la personne peut faire l’objet d’une décision de sursis avec mise à l’épreuve ou d’admission au régime de semi-liberté2. Ce cadre posé, l’expert psychologue est désigné pour une mission type, dont les formulations standardisées sont issues des logiciels WINSTRU ou CASSIOPEE3, qui prescrivent d’analyser « la personnalité », « les facteurs personnels, familiaux et sociaux ayant pu influer sur le développement de la personnalité », de déterminer « l’intelligence », voire « l’habileté manuelle » de la personne mise en cause. Ces analyses doivent permettre de fournir, in fine, « toutes données utiles à la compréhension des faits reprochés à la personne et le cas échéant son traitement » puis d’« indiquer dans quelle mesure la personne est susceptible de se réadapter » et par « la mise en œuvre de quel moyen cette réadaptation peut être favorisée ».

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  1. Articles 156, 158 et 168 du Code de Procédure Pénale.
  2. Article D17 du Code de Procédure Pénale.
  3. CASSIOPEE (« Chaîne Applicative Supportant le Système d’Information orienté Procédure Pénale et Enfants ») est le logiciel qui a progressivement remplacé le logiciel WINSTRU, application initiale plus spécifiquement destinée à la gestion quotidienne des cabinets des juges d’instruction (notamment pour le suivi de la détention et la réaction d’actes).