Article de dossier
Impuissance et contre-transfert culturel
Publié dans : L’autre 2018, Vol. 19, n°1
Dossier : Cliniques transculturelles 4
Marie-Laure DAXHELET
Marie-Laure Daxhelet est PhD, Centre de recherche SHERPA, CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (CODIM), Montréal, Québec, Département de psychologie, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec.
Janique JOHNSON-LAFLEUR
Janique Johnson-Lafleur est MSc, Centre de recherche SHERPA, CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (CODIM), Montréal, Québec, Département de psychiatrie, Division de psychiatrie sociale et culturelle, Université McGill, Montréal, Québec.
Garine PAPAZIAN-ZOHRABIAN
Garine Papazian-Zohrabian est PhD, Centre de recherche SHERPA, CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (CODIM), Montréal, Québec, Département de psychopédagogie et d'andragogie, Université de Montréal, Montréal, Québec.
Cécile ROUSSEAU
Cécile Rousseau est professeur de psychiatrie à la division de psychiatrie sociale et culturelle de l’université McGill, directrice scientifique du centre de recherche et de formation, CSSS de la Montagne.
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Pour citer cet article :
Daxhelet M-L, Johnson-Lafleur J, Papazian-Zohrabian G, Rousseau C. Impuissance et contre-transfert culturel : le rôle des discussions de cas interinstitutionnelles pour dénouer les impasses thérapeutiques. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°1, pp. 21-31
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/impuissance-et-contre-transfert-culturel/
Impuissance et contre-transfert culturel: le rôle des discussions de cas interinstitutionnelles pour dénouer les impasses thérapeutiques
Le contre-transfert culturel est un concept qui souligne la dimension socioculturelle, et donc collective, du contre-transfert. Dans ce texte, nous analysons, au moyen de cinq histoires cliniques présentées dans le cadre de séminaires de discussion de cas transculturels et interinstitutionnels menés à Montréal, Canada, les diverses formes que peut prendre le contre-transfert culturel pour des cliniciens en situation d’impasse thérapeutique face à la prise en charge de familles migrantes. Nous examinons ensuite le rôle éventuel de ces séminaires dans la transformation de ce contre-transfert et dans la formulation de pistes permettant de relancer ou de soutenir le processus thérapeutique. Les résultats indiquent que les séminaires transculturels et interinstitutionnels de discussion de cas facilitent un travail d’élaboration sur les représentations collectives des cliniciens et que ce travail groupal permet de contenir et parfois de dépasser certaines situations d’échec thérapeutique.
Mots-clés: analyse de la pratique, cas clinique, contre-transfert, migrant, relation thérapeutique, échec, contre-transfert culturel.
Mots clés :
Powerlessness and cultural countertransference: the role of inter-institutional case discussions in resolving therapeutic impasses
Cultural countertransference is a concept that emphasizes the sociocultural dimension of countertransference, therefore its collective side. In this text, we present the various forms of cultural countertransference that clinicians facing therapeutic impasses can take when working with migrant families. In order to do so, five clinical cases presented in the context of transcultural and inter-institutional case discussion seminars conducted in Montreal, Canada are analyzed. We will then examine the possible role of these seminars in the transformation of this countertransference and in the elaboration of strategies to revive or support the therapeutic process. Results indicate that transcultural and interinstitutional case discussion seminars facilitate the work on clinicians’ collective representations and that this group work helps to contain and sometimes overcome certain treatment failure situations.
Keywords: analysis of practice, clinical case, coountertransference, migrant, therapeutic relation, failure, cultural countertransference.
Keywords:
Impotencia y contratransferencia cultural: el papel de las discusiones de caso interinstitucionales en la solución de los impasses terapéuticos
La contratransferencia cultural es un concepto que otorga una importancia a la dimensión sociocultural, o sea colectiva, de la contratransferencia. En este texto nos proponemos analizar, a través de cinco historias clínicas presentadas en el marco de seminarios de discusión de casos transculturales e interinstitucionales llevados a cabo en Montreal, Canadá, las diversas formas que puede tomar la contratransferencia cultural para los terapeutas en situación de impasse terapéutico al atender a familias migrantes. También se examinará el papel eventual de estos seminarios en la transformación de esa contratransferencia y en la formulación de ideas que puedan dinamizar o apoyar el proceso terapéutico. Los resultados indican que los seminarios transculturales e interinstitucionales de discusión de casos facilitan el trabajo de elaboración sobre las representaciones colectivas de los terapeutas y que ese trabajo grupal permite contener y a veces superar ciertas situaciones clínicas de falla terapéutica.
Palabras claves: análisis de la práctica, caso clínico, contratransferencia, migrante, relación terapéutica, falla, contratransferencia cultural.
Palabras claves:
Si en psychologie les relations transférentielles entre le thérapeute et son client sont importantes à considérer, l’analyse du transfert et du contre-transfert sont au cœur de la cure psychanalytique. Selon Freud (1912 ; 1914), le contre-transfert est l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste face à son patient, et plus particulièrement face au transfert de celui-ci. Il est souvent le fruit de conflits personnels non résolus ou insuffisamment analysés et peut induire chez le thérapeute une tâche aveugle, qui l’empêche de voir et de comprendre en profondeur la situation de son patient. Tout au long de son œuvre, Freud accorde une place importante à la prise en compte du contre-transfert et à la nécessité pour l’analyste d’être attentif à ses propres réactions psychiques. Le contre-transfert pourrait ainsi amener le thérapeute à sortir de sa neutralité bienveillante, d’où la nécessité de l’analyser ou du moins d’en prendre conscience (Renaud 2014).
La notion de contre-transfert culturel, quant à elle, a été introduite par Devereux (1967) et retravaillée, entre autres, par Fermi (1998), Moro (2011), Rouchon (2007, 2009) et plus récemment par Delanoë (2015) et Delanoë et Moro (2016). L’aspect novateur de cette notion est qu’elle attire l’attention sur la dimension socioculturelle, et donc collective, du contre-transfert. Il ne s’agit pas ici seulement de cerner la réaction à la subjectivité de l’autre en fonction de ce que l’on est comme « personne », mais de prêter attention à la partie de ces réactions qui « correspond au réaction du collectif qui est en nous et au collectif qui est en l’autre » (Rouchon et al. 2009 : 82). Dans ce texte, le terme contre-transfert culturel, désigne l’ensemble des émotions vécues et véhiculées par les intervenants, induit par les représentations collectives qui les structurent, qu’elles soient sociales, historiques, politiques, religieuses ou idéologiques. La limite de la notion de contre-transfert culturel réside dans le regard potentiellement altérisant qui pourrait tendre à nier l’omniprésence des représentations collectives dans toute relation, incluant celles où les différences sociales et culturelles ne sont pas à l’avant plan. Il nous parait légitime d’avancer que le contre-transfert est inévitablement « culturel » dans la mesure où les réactions qui proviennent de la personne sont toujours liées à des références à l’histoire de ses différents groupes d’appartenance (conception de soi, des genres, de la famille, de la maladie mentale, etc.).
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