Article de dossier

© Jeanne Menjoulet, Fracture, 15 novembre 2014. Source (CC BY 2.0)

Géopolitique de l’informe

Hommes exilés victimes de violences liées au genre et traumas complexes

et


Laure WOLMARK

Laure Wolmark est psychologue clinicienne, Comede (Comité pour la santé des exilé·e·s).

Muriel BAMBERGER

Muriel Bamberger est psychologue clinicienne, Comede (Comité pour la santé des exilé·e·s).

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Branche, R., Delpla, I., Horne, J., Lagrou, P., Palmieri, D., & Virgili, F. (2009). Introduction: écrire l’histoire des viols en temps de guerre. Dans Branche, R. et Virgili, F. (dirs.). Viols en temps de guerre (pp. 7-24). Éditions Payot.

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Pour citer cet article :

Wolmark L, Bamberger  M. Géopolitique de l’informe. Hommes exilés victimes de violences liées au genre et traumas complexes. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°1, pp. 32-40


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/geopolitique-de-linforme/

Géopolitique de l’informe. Hommes exilés victimes de violences liées au genre et traumas complexes

Cet article, écrit à deux voix, se fonde sur notre expérience en tant que thérapeutes d’hommes exilés reçus au Comede (Comité pour la santé des exilé·e·s) ayant vécu des violences liées au genre en détention. Nous nous interrogeons sur les formes particulières de l’impact psychique de ces violences chez les hommes qui en sont victimes, particulièrement sur les traumas complexes, à partir de deux axes principaux. D’une part, du côté des sciences sociales, nous nous appuyons sur des théorisations du viol comme expression de la domination hétéro-patriarcale. D’autre part, du côté de la psychanalyse, nous mettons en avant la notion d’«informe» comme formation psychique inconsciente liée aux expériences traumatiques extrêmes. En dernier lieu, nous poursuivons le dialogue entre les disciplines pour penser le travail thérapeutique comme lieu de rencontre entre clinique et politique.

Mots clés : agression sexuelle, exilé, identité de genre, psychanalyse, psychothérapie, sciences humaines, traumatisme psychique, violence.

The geopolitics of the “formless”. Men in exile subjected to gender-related violence and complex trauma

This article, combining two distinct viewpoints, draws on our experiences as therapists working with men in exile who have experienced violence linked to gender in detention centres, seen in the setting of COMEDE (Comité pour la santé des exilés). We explore the particular psychological impact of this violence on the men subjected to it, and in particular complex trauma, in two main approaches. On the one hand, calling on the social sciences, we integrate theories of rape as the expression of hetero-patriarchal domination. On the other, calling on psychoanalysis, we focus on the notion of the “shapeless” or “formless”, as an unconscious psychic formation linked to extreme traumatic experiences. Finally, we pursue the dialogue between these two disciplines in order to envisage the therapeutic process as a place of encounter between the clinical and the political.

Keywords: exile, gender identity, human sciences, men, psychic trauma, psychoanalysis, psychotherapy, sexual assault, violence.

Geopolítica de lo “sin forma”. Hombres exiliados víctimas de violencia de género y traumas complejos

Este artículo, escrito a dos manos, se basa en nuestra experiencia como terapeutas de hombres exiliados acogidos en la Comede (Comité por la Salud de los Exiliados) que han experimentado violencia de género en detención. Nos preguntamos sobre las formas particulares del impacto psíquico sobre las víctimas de esta violencia, particularmente sobre los traumas complejos, desde dos ejes principales. Por un lado, desde las ciencias sociales, nos apoyamos en teorizaciones de la violación como expresión de la dominación heteropatriarcal. Por otro lado, del lado del psicoanálisis, planteamos la noción de “sin forma” como una formación psíquica inconsciente ligada a experiencias traumáticas extremas. Finalmente, continuamos el diálogo entre las disciplinas para pensar el trabajo terapéutico como un lugar de encuentro entre lo clínico y lo político.

Palabras claves: agresión sexual, ciencias humanas, exilio, hombres, identidad de género, psicoanálisis, psicoterapia, trauma psíquico, violencia.

Contre cette force d’inertie et pour éviter le risque de psychiatrisation, on partira d’une position éthique qui introduit l’articulation entre l’espace thérapeutique et l’espace sociopolitique, en assumant ce que cette
articulation peut avoir d’impossible.
Viñar et Viñar, 1989, p. 159

Exercer comme psychothérapeutes au centre de santé du Comede (Comité pour la santé des exilé·e·s) auprès de femmes et d’hommes exilé·e·s ayant été victimes de violences dans un cadre politique suppose de s’approcher et de se familiariser avec la nécessaire articulation entre l’espace thérapeutique et l’espace sociopolitique. Cette crête s’est révélée particulièrement ardue lorsque nous avons décidé de travailler sur les effets psychiques des violences de genre commises par des hommes sur d’autres hommes. Singulièrement ardue car nous les pensons à partir de nos propres représentations des genres, mais plus encore peut-être car nous manquons d’appuis théoriques et cliniques qui nous permettent d’étayer notre pensée.

Si l’un des effets patents des violences sexuelles subies par nos patients, tel que nous l’observons au Comede, s’inscrit du côté des traumas complexes, nous avons choisi ici de ne pas circonscrire notre réflexion à la question du trauma mais plutôt de mettre en lumière les violences sexuelles subies comme des violences liées au genre afin d’élaborer une pensée clinique qui nous permette de « mieux entendre ce que les normes d’existence imposent dans l’ordre du genre comme emprise sur le corps » (Wolmark, 2017, p. 31).

Mais comment travailler avec le genre en psychothérapie pour penser ces violences ? Comme on peut le lire dans l’introduction de l’ouvrage collectif Viols en temps de guerre, « se poser des questions du politique au niveau individuel, c’est opérer un changement d’échelle : que se passe-t-il dans le face-à-face agresseur-victime ? » (Branche et al., 2009, p. 11). Que se passe-t-il dans cette confrontation ? Quelles traces psychiques en restera-t-il ? Quels en seront les effets sur le plan psychique après les violences, et ce jusque dans l’exil ?

Autant d’interrogations qui traversent notre propos, et auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses en se fondant sur la psychanalyse et les sciences sociales.

Définitions et épidémiologie des violences de genre chez les hommes, à partir de l’expérience du Comede

« L’expression “violence de genre” désigne l’ensemble des violences, qu’elles soient verbales, physiques ou psychologiques, interpersonnelles ou institutionnelles, commises par les hommes en tant qu’hommes contre les femmes, exercées tant dans les sphères publique que privée. Dans cette définition, communément partagée par la plupart des travaux féministes, c’est la donnée structurelle, liée aux rapports de domination qui est mise en avant. (…) Bien que majoritaire, la violence commise sur les femmes n’épuise pourtant pas la catégorie violence et genre. Les violences commises sur des hommes et qui  visent leur masculinité “défaillante” ou leur statut “d’inférieur” dans la classe des hommes entrent également dans ce champ d’analyse » (Simonetti, 2021, p. 830).

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