Rencontre

Rencontre avec des psychologues au Gabon

© Daniel Delanoë Source D.G.

Rencontre avec des psychologues au Gabon


Daniel DELANOË

Daniel Delanoë est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de l’Unité Mobile Trans-Culturelle, EPS Barthélemy Durand, 91152 Étampes, Chercheur associé INSERM Unité 1018, Fellow Institut Convergences Migrations (2021-2025) Maison de Solenn, Maison des Adolescents, Cochin, Paris.

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Repéré à https://revuelautre.com/rencontres/rencontre-avec-des-psychologues-au-gabon/ - Revue L’autre ISSN 2259-4566

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Le réseau Point Sud a organisé au Gabon du 19 au 26 juillet 2023 un workshop sur le thème « Enjeux contemporains de la santé mentale en Afrique : besoins, demandes, réponses » réunissant une trentaine d’universitaires, chercheurs et cliniciens de 13 pays, dont plusieurs psychologues du Gabon. Nous les avons rencontrés dans ce cadre1, 2.

L’autre : Quand est née l’association Psy Cause Gabon ? Et quelle est l’histoire de la profession de psychologue au Gabon ?

Georgette Ngabolo  : L’association Psy Cause a été fondée à la demande de Psy Cause International3 le 16 novembre 2019 au cours d’une assemblée constituante organisée à l’université Omar Bongo, à Libreville. Nous sommes une antenne de Psy Cause International. L’objectif global est la promotion de la santé mentale, au niveau scientifique, préventif et de la prise en charge.

De manière précise, nos objectifs sont les suivants :

  • Étudier et approfondir les problèmes de santé mentale et sociale sous leurs aspects préventifs, promotionnels, curatifs, réadaptatifs et de réinsertion ;
  • Promouvoir et développer la recherche scientifique appliquée en santé mentale et sociale au Gabon ;
  • Favoriser les publications scientifiques (articles, ouvrage, dossiers…) ;
  • Organiser les conférences, colloques et symposiums ;
  • Permettre les échanges d’expérience entre les différents acteurs de la santé mentale, sociale et de la culture au Gabon et à l’extérieur.

De ce fait nous participons aux activités scientifiques à l’exemple du workshop organisé par Point sud. Nous comptons également organiser prochainement un colloque sur le thème : Figures de la maladie : épistémologie, pluralité des pratiques et culture.

Sur le plan universitaire, il y a des promotions de psychologues au Gabon après l’ouverture du département qui ne formait que pour le cycle de Licence. L’enseignement s’est structuré bien avant 1985. Nous avons trois filières :  la psychologie clinique et la psychopathologie ; la psychologie du développement et de l’éducation et enfin la psychologie du travail, des organisations et la psychologie sociale.  Avant l’ouverture de la Maîtrise, les étudiants en Psychologie étaient orientés en France pour poursuivre leurs études ou au Cameroun pour la formation de Conseiller d’Orientation.

Les psychologues sont de plus en plus sollicités dans divers domaines, notamment en milieux hospitalier et scolaire, dans les entreprises, dans le domaine juridique pour faire des expertises, dans les associations ou pour la prise en charge en situation d’urgence (catastrophes, accidents dramatiques…).

Firmin Olivaint Nyama : Comme dans la plupart des facultés, la psychologie faisait partie d’un département constitué de trois spécialités : la philosophie, la sociologie et la psychologie, lors de la création de l’université Omar Bongo. Par la suite, il y a eu un éclatement, avec la création d’un département de psychologie. Le premier psychologue au Gabon fut le Dr Mounguengui Pambu qui était praticien à l’hôpital psychiatrique de Melen et qui a travaillé avec le Dr Goudjot. Puis il y a eu deux autres psychologues cliniciens, M. Godefroy Mayombo et M. Joseph Bissiemou, qui ont pris leur retraite très récemment. Depuis 2010, le département de psychologie a ouvert une formation de Master professionnel. Plus de 200 psychologues cliniciens y ont été formés jusqu’à aujourd’hui. Ils sont disséminés à travers le pays, dans les hôpitaux, à Libreville et à l’intérieur du pays ; dans les centres spécialisés dans la prise en charge des personnes porteuses du VIH ; en gériatrie ; les établissements de prise en charge pour enfants en difficultés ; pour enfants déficients auditifs et enfants vivant avec handicap mental. Par ailleurs, le Département de Psychologie a ouvert une formation doctorale en 2018 avec cinq maîtres de conférences, toutes filières confondues. Par ailleurs, de plus en plus de psychologues ouvrent des cabinets privés en pratique libérale.

L’autre : Quelles sont les principales orientations théoriques et cliniques ?

Chimène Mado : Le programme de formation comprend la psychologie de l’éducation, la psychologie du développement, la psychologie du travail, la psychologie sociale, la psychologie clinique et psychopathologie. Nous n’avons pas de master spécialisé en psychanalyse ou TCC. Des recherches sont menées en psychologie cognitive par certains collègues.

Chimène Mado : Nous menons des activités de recherche au sein du laboratoire de psychologie, le Centre de Recherches et d’Études en Psychologie (CREP).  Nous avons pris part à un colloque sur le COVID au mois de juin 2023.  En décembre 2023, un colloque sur la Violence, financé par l’Ambassade de France est par ailleurs prévu. Pour ce qui de l’année 2024, Psy Cause Gabon se prépare à organiser un colloque international sur les Figures de la maladie. Notre laboratoire édite une revue qui s’intitule Psychologie et culture. Il y a aussi la revue Regard Psy. Nous organisons également des journées scientifiques sur des questions de société. En 2019, les thèmes étaient la violence, la précarité et la toxicomanie.

L’autre : Alors que la psychiatrie de l’enfant n’existe pas, les psychologues sont très présents dans les institutions accueillant des enfants.

Georgette Ngabolo : Nous formons des professionnels aptes à aller dans les structures pour enfants, en pédiatrie et en néonatalogie, dans le milieu scolaire et en psychiatrie.

L’autre : Quels seraient les problèmes actuels de la psychologie au Gabon ?

Firmin Olivaint Nyama : D’une part, la psychologie manque de moyens pour produire des connaissances. D’autre part, contrairement à la médecine dont les résultats peuvent être presque palpables, ici comme ailleurs, la psychothérapie est un travail de longue haleine et nous ne sommes pas toujours compris ou assez reconnus.

L’autre : La revue L’autre s’intéresse aussi à la prise en compte dans les psychothérapies des éléments culturels, notamment animistes, comme des leviers thérapeutiques temporaires et efficaces, dans la lignée des travaux de George Devereux, Tobie Nathan, Marie Rose Moro, ainsi qu’aux traumatismes associés à la migration. La culture animiste est présente et vivante au Gabon. Est-ce qu’elle est prise en compte dans les pratiques psychothérapeutiques ?

Firmin Olivaint Nyama : La formation du Master met l’accent sur l’interculturalité. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur ce sujet en Occident, et nous pensons que nous n’avons plus grand-chose à dire de plus. Ce qui nous intéresse c’est de pouvoir examiner le matériel culturel apporté par les patients, qui parlent de sorcellerie, de Nganga (guérisseur travaillant avec les entités invisibles). Ces termes nous posent parfois des problèmes de sémantique et de traduction. Nous utilisons aussi le conte comme un médiateur thérapeutique.

L’autre : En France, les consultations transculturelles avec les personnes en situation migratoire ont recours à un interprète, y compris pour les personnes francophones, afin qu’elles puissent s’exprimer dans leur langue maternelle. Il y a de nombreuses langues au Gabon. Est-ce que vous passez parfois par un interprète ?

Firmin Olivaint Nyama : La présence de la psychologie dans la société gabonaise est récente. Ce sont les personnes jeunes qui voient le bien-fondé de la psychologie. Les jeunes maitrisent bien la langue française, la langue véhiculaire. Mais pour ce qui est des personnes âgées, en gériatrie par exemple, elles n’ont pas toujours été scolarisées et s’expriment dans leur langue. Nous devons alors faire intervenir d’autres thérapeutes pour traduire le discours du patient, avec tout ce que cela comporte de biais et d’insuffisances possibles de traduction. J’ai réfléchi à un dictionnaire des termes que nous utilisons en psychologie pour chaque langue du Gabon : le rêve, la souffrance, tel symptôme…. Un tel dictionnaire permettrait au psychologue de ne plus faire appel à une tierce personne. C’est un travail de longue haleine, qui demande des moyens énormes, et qui nécessite d’aller sur le terrain.

Gildas Bika : Pour ce qui concerne de nombreux groupes ethniques du pays, il y a une intercompréhension. Et, même si le psychologue et le patient appartiennent à deux groupes ethniques différents et parlent chacun leur langue, ils se comprennent, car les radicaux et certains concepts sont souvent les mêmes et la barrière peut être levée. Par contre, il peut y avoir un souci lorsque patient et thérapeute ne se comprennent pas. Alors, on utilise le français. Nous n’avons pas recours à des traducteurs, car il n’y a pas encore de traducteurs formés. Mais certains mots d’une langue d’une ethnie sont populaires et connus de toute la population. Ainsi, Ditengu, qu’on pourrait traduire en français par Fantôme, est quelqu’un qui est décédé mais dont l’esprit réapparaît. Le Ditengu peut être protecteur, mais le plus souvent il est persécuteur. Chez les peuples du sud, comme chez les Merié, les gens désertent les villages au profit des villes, à cause, entre autres, des Matengu (pluriel de Ditengu), certaines maisons étant hantées.

L’autre : Vous connaissez ces modèles explicatifs, vous savez ce dont parlent les patients.

Gildas Bika : Quand ils en parlent, c’est surtout un objet ou une icône qui persécute, ou qui protège. On va chercher la fonction et le sens que lui donne le patient, et le rapport que le patient entretient avec ces mystérieux objets. Vu que nous partageons la même culture, ils savent que nous savons, et peuvent aller dans ce registre, mais cela dépend des situations. Quand le patient et le thérapeute appartiennent à la même aire culturelle, ça peut être facile de se comprendre. Mais la culture n’est pas réductible à l’appartenance culturelle ou linguistique. Il y aussi l’appartenance religieuse, qui influence énormément les représentations.

L’autre : Est-ce que l’utilisation du matériel culturel et animiste fait l’objet de discussions et de problématisations entre les psychologues ?

Gildas Bika et Chimène Mado : En tant que chercheurs, nous abordons ces questions dans des séminaires, des colloques, des publications. Nous précisons aux étudiants, tout au long de la formation, qu’ils doivent tenir compte des concepts et des notions culturels des patients. On ne sait pas s’ils vont l’utiliser au pas. Dans un récent séminaire sur la pédagogie universitaire, il nous a été recommandé de contextualiser les vignettes cliniques, afin de trouver un sens à ce qui est amené par le sujet et afin que tout ce qui est peut-être refoulé puisse émerger. Parfois on va au-delà, en essayant de creuser, par exemple si le sujet est initié à un rite. Le fait de partager les mêmes représentations, les mêmes icônes, permet de comprendre de quoi il s’agit. Ce n’est pas toujours évident, car certaines questions relèvent du secret, mais au fur et à mesure de la prise en charge, ce qui est caché émerge progressivement. La filière d’enseignement de psychologie clinique et psychopathologie du Département de Psychologie de l’université Omar Bongo comporte un volet interculturel, et nous composons avec les anthropologues. Le professeur Samuel Mbadinga, qui est très interculturaliste, n’hésite pas à parler des travaux de Marie Rose Moro ou Tobie Nathan.

L’autre :  Est-ce un sujet de recherche important ?

Gildas Bika : Bien sûr. Ces auteurs ont pensé à l’autre. Il est important que nous aussi, qui sommes dans cet autre-là, puissions l’accueillir. Le Gabon a une particularité : du fait de son ascension économique, il a été un pôle d’attraction et a accueilli plusieurs populations migrantes venues de la sous-région et d’ailleurs. Nous avons ainsi une pratique clinique avec des personnes en situation migratoire. J’ai reçu des ex-enfants soldats venant du Congo Brazzaville et du Congo RDC, qui avaient été initiés au rite des guerriers Maï-Maï[][/ref]. Nous avons abordé la question de cette appartenance au cours d’une psychothérapie avec l’un d’eux, en utilisant aussi des méthodes projectives comme médiation. Il fallait enclencher un processus de désincorporation d’un certain nombre de gris-gris qui avaient une fonction protectrice. Cet ex-enfant soldat était lié à ce rite, et il a fallu le désincoporer de sa filiation aux guerriers Maï-Maï. J’interroge également cette question du recours à la langue et ce qu’auraient été les productions projectives si la passation avait été faite dans la langue locale des sujets dans un autre article.

Georgette Ngabolo : Au terme de cette interview, au nom de Psy Cause Gabon je voudrai adresser nos sincères remerciements à la revue L’autre pour cet échange.  Nous espérons une collaboration pérenne par des publications d’articles, la participation aux différents colloques et des échanges de pratiques professionnelles.

  1. Point Sud, Centre de recherche sur le savoir local, est un institut de recherche international et autonome pour la formation, la recherche et l’organisation des rencontres scientifiques internationaux (http://pointsud.org). Il est financé par la Fondation allemande pour la recherche (DFG) et l’Université Goethe de Francfort-sur-le-Main. Le programme Point Sud organise des conférences et ateliers couvrant un large éventail de sujets sur l’Afrique. Le workshop a été co-organisé par la DFG et l’Université Omar Bongo, Libreville, Gabon. Les participants venaient des pays suivants : Gabon, Cameroun, Congo Brazzaville, Congo RDC, Ghana, Mali, Maroc, Brésil, Canada, Colombie, France, Pays-Bas.
  2. Georgette Ngabolo est Maître de Conférences en Psychologie clinique et psychopathologie, Département de psychologie. Centre de Recherches et d’Études en Psychologie (CREP), Université Omar Bongo, Présidente de l’association scientifique Psy Cause Gabon, ngabologeorg@yahoo.fr Chimène Mado Malise Ntsame Mboulou est Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse (Université Paris VII Diderot), Enseignant-chercheur, département de Psychologie, Centre de recherches et d’études en psychologie CREP. Université Omar Bongo. Chargée de la communication de Psy Cause Gabon. Firmin Marius Olivaint Nyama est Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse (Université Paris VII Diderot), Psychologue clinicien en libéral ayant travaillé en institutions pour enfants déficients intellectuels, Enseignant- chercheur et Maître de Conférences CAMES, Département de Psychologie, Université Omar Bongo. Chargé de la recherche et du partenariat à Psy Cause Gabon. Gildas Bika est Maître-Assistant CAMES en Psychopathologie et Psychologie Clinique, Université Omar Bongo, Libreville, Gabon, Chercheur associé, CRPPC, Université Lumière Lyon 2, France, Chercheur, Centre International d’Études et de Recherches sur les Conflits Armés (CIERCA).
  3. Psy Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire connaître les savoir-faire des psy du monde entier (https://www.psycause.info).