Riace, quand la vie revient


Marion GÉRY

Marion GÉRY est psychologue clinicienne à Marseille.

Pour citer cet article :

https://revuelautre.com/lire-voir-ecouter/film/riace-quand-la-vie-revient/

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À Marseille, ville portuaire si familière des grands mouvements de population, la mise en place d’un séminaire transculturel promettait d’être passionnante. Créé il y a maintenant plus de 10 ans, ce collectif concerne une vingtaine de professionnels travaillant dans divers champs, (éducation, santé, anthropologie, pédagogie, art) désireux d’approfondir leurs connaissances afin de les rendre « actives » et de se prémunir de certaines postures autocentrées. Après 9 ans de fonctionnement, pour continuer de s’inventer, ce groupe de travail, initialement co-construit avec Osiris, puis soutenu par l’AIEP, formé en grande partie à la démarche transculturelle, est devenu l’Association Provençale pour la Promotion de l’Ethnopsychanalyse et de l’Approche Transculturelle, A.P.P.E.A.T « Horizons Pluriels ». Chaque année, un sujet est approfondi avec des praticiens, des chercheurs ou des artistes invités à débattre, tout autant que « travaillé » en interne à partir d’exposés et/ou d’expériences émanant des membres de l’association. C’est dans ce groupe où il est de coutume de se présenter en déclinant ses liens d’appartenances, afin de s’accueillir mutuellement, que le thème de l’hospitalité a été retenu cette année. Un choix qui nous a amenés à récemment inviter Shū Aiello, documentariste, pour nous parler de la fabrication du film qu’elle a réalisé avec Catherine Catella, « Un paese di Calabria », sorti en France en février 2017.

Si l’hospitalité se décline ces derniers temps plutôt en terme de résistance de quelques uns face à la sélection ou au rejet des Etats européens, nous avons découvert avec bonheur, un documentaire qui nous a amenés à faire un pas de côté pour repenser, en prenant appui sur une histoire « vraie », aux maints processus de fabrication du vivre ensemble. Mais rappelons le contexte : Riace, perché sur les hauteurs du sud de l’Italie, a longtemps subi, comme d’autres villages, un exode rural massif. En 1998, lorsqu’un bateau transportant 200 Kurdes a échoué sur la plage, spontanément ses habitants leur sont venus en aide. Petit à petit, migrants et villageois ont réhabilité les maisons abandonnées, relancé les commerces et assuré l’avenir de l’école. Depuis plus de 20 ans, chaque jour, le village de Riace réinvente le futur et continue d’accueillir ceux qui arrivent. Voilà qui donne à réfléchir : naviguons-nous en pleine hétérotopie ? Quels sont donc les ingrédients de cette fabrication ? Si, au départ, les réalisatrices, toutes deux petites filles d’immigrés italiens et siciliens taiseux, natifs de villages voisins, étaient désireuses de connaître l’histoire de leurs ancêtres, elles ont très vite compris tout l’intérêt de se décentrer de leur généalogie pour esquisser les contours de l’âme de Riace. Elles ont donc filmé au cœur du village, en plusieurs séquences de quelques jours, posant simplement la caméra dans un endroit fixe, et attendant que les habitants viennent spontanément leur parler. Leur film raconte également comment l’association Cita Futura  créée par un maire très engagé et très populaire, est parvenu à réunir les fonds nécessaires pour donner vie, couleur et relief à une hospitalité totalement inscrite dans un contexte particulier (Riace était un village menacé de disparaître du fait d’un exode rural massif et il est aussi sous le joug de la Mafia), avec la volonté d’accueillir dignement ceux qui viennent avec leur savoir-faire, sans oublier de leur donner les moyens nécessaires pour le partager. Plus pragmatique que compassionnelle, Cita Futura s’est ainsi engagée à répondre aux besoins des arrivants (allocation financière, formation et scolarisation des enfants) afin de faciliter leur installation.

On notera que Shū Aiello et sa « complice » se sont bien gardées de s’adresser directement aux migrants qui, au fil du temps (3 ans de de tournage) ont confié à la caméra ce qu’en fait beaucoup de leurs proches ignoraient et qu’ils ont découvert à l’occasion de la projection du film. Les préparatifs de la fête du village, l’organisation des élections et la réouverture de l’école vont dire l’essentiel, avec bienveillance et humour. On se régalera également de cette séquence où le maire, agnostique, fait son discours dans l’église, devant un curé au départ ultra-traditionaliste puis éclairé, qui a su faire de ce lieu un espace ouvert à toutes les religions et donc à la multiplicité des pratiques, des rites et des textes sacrés. Au village, en fait, on sait de quoi on a peur. La mafia qui sévit dans ces régions reculés et arides, n’a-t-elle pas pour fonds de commerce, la migration ? Elle a cherché à en intimider plus d’un (notamment le maire de Riace qui a dû éloigner sa propre famille pour la mettre à l’abri). Alors, ici, au village la peur de l’Autre, reste très circonscrite et n’entame pas les priorités, comme cet accompagnement réfléchi des femmes libyennes arrivées enceintes terrorisées, qui organise leur accueil et si elles le souhaitent le parrainage de leurs enfants nés d’un viol. Enfin un film qui bouscule nos représentations. L’hospitalité à Riace serait-elle devenue au fil des ans un plus, une aubaine, une chance, ou encore une promesse figurée par la présence de tous ces nuages, peints sur l’un des murs du village où un groupe de jeunes a récemment inscrit toutes les nationalités accueillies ? Un accueil néanmoins très remis aujourd’hui en question, non par ses habitants, mais par l’acharnement de l’actuel gouvernement italien qui ne veut plus financer ce dispositif modèle et qui a très récemment mis son maire sous arrestation à son domicile pour de nombreuses allégations à ce jour non fondées.

Riace entrera t-elle en résistance ?

Marion Géry
A.P.P.E.A.T « horizon pluriel » octobre 2018