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Publié dans : L’autre 2025, Vol. 26, n°3
L’école républicaine s’est construite historiquement comme un lieu de socialisation et d’éducation (d’instruction plus exactement) extérieur à la famille. Cette indépendance de l’école publique a toute sa raison d’être dans un projet d’émancipation grâce auquel l’enfant peut se différencier de son milieu d’origine et ne pas être tenu par sa seule filiation, mais découvrir d’autres affiliations.
Cependant l’enfant ou l’adolescent peut se sentir tiraillé entre ces deux mondes qui ne communiquent pas toujours, que parfois même tout oppose, et se trouver pris dans des « conflits de loyauté » (Kaës, 2009) qui peuvent nuire à son développement et à sa réussite scolaire. Cela est particulièrement vrai pour les milieux les plus vulnérables, les pauvres et les immigrés. La sociologie de l’éducation a montré depuis les travaux de Pierre Bourdieu (1970) cette disqualification symbolique des milieux populaires et la tendance lourde de l’école à reproduire les inégalités sociales en les transformant en inégalités scolaires.
La sociologie de l’éducation a également montré le rôle des configurations et des implications familiales dans la réussite des enfants de milieux populaires (Lahire, 1995), ce qui enjoint l’école à nouer le dialogue avec les familles qui semblent les plus éloignées d’elle afin de surmonter les malentendus qui peuvent exister et reconnaître le rôle positif que les parents peuvent jouer dans la scolarité de leurs enfants. Pour reprendre le titre d’un article de Bruno Masurel (2014), il s’agit de reconnaître la « légitimité de tous les parents pour contribuer à la réussite de tous les enfants ».
La disqualification des familles les plus éloignées de l’école met les jeunes en porte-à-faux, les amenant soit à rejeter leur famille et l’histoire dont ils sont issus, soit à rejeter l’école en agissant des logiques d’échec voire des comportements violents qui attaquent l’école. Comment sortir de ce dilemme ? D’après Jean-Yves Rochex (2008 ; 2020) l’enfant de milieu populaire, ce qui implique la plupart des enfants issus de l’immigration, a besoin d’une « triple autorisation » pour pouvoir apprendre : s’autoriser à devenir autre que ses parents et à apprendre ce qu’ils ne savent pas, se sentir autorisé par ses parents dans ce processus et enfin autoriser ses parents à être ce qu’ils sont en acceptant leur histoire, qui est aussi la sienne. L’école a un rôle essentiel à jouer dans ce processus. Les articles de ce dossier décrivent et proposent des pistes qui favorisent cette triple autorisation.
Ce dossier s’intéresse plus particulièrement au rapport de l’école avec les familles ayant vécu un parcours d’immigration et se trouvant en situation d’incompréhension ou en tout cas d’étrangeté vis-à-vis de l’institution scolaire dont elles attendent pourtant beaucoup. Les articles qui suivent analysent les difficultés rencontrées par ces familles avec l’école mais proposent également des pratiques transculturelles qui permettent de tisser de nouveaux liens et de faire bouger les représentations de part et d’autre. Elles montrent l’importance de reconnaître les expériences migratoires et les stratégies mises en place par les parents, l’importance d’un dialogue interculturel et de la médiation linguistique, seule à même de faire véritablement entendre les familles inscrites dans une histoire et une culture autres. Cela demande à l’école de s’ouvrir à l’altérité et d’accueillir pleinement la diversité en la percevant comme une richesse et non comme un handicap. Une approche systémique permet de déterminer les différents niveaux, des individus à l’institution, où peuvent se construire les conditions d’une véritable adaptation scolaire en construisant des espaces de dialogue où peut se construire un socle de confiance réciproque et en finir avec des réflexes ethnocentriques qui ont tendance à disqualifier l’autre. Les « papothèques » sont de tels espaces de dialogues qui mêlent les langues et les représentations et permettent aux enseignants et aux parents de se rencontrer et de créer des passerelles.
Ces espaces transculturels sont des lieux de « réparation » (Audet et al., 2025) qui redonnent à chacun sa place dans l’accompagnement scolaire des enfants issus de l’immigration et permettent à ces derniers d’inventer des stratégies de métissage, les rendant capables d’assumer pleinement d’être « des enfants d’ici venus d’ailleurs » (Moro, 2002) et des élèves heureux.
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