Débat
Maghreb des Livres, 11 février 2012 Alice Cherki, Maghreb des Livres 2012 Source Autre
Héritiers de Fanon
Roberto BENEDUCE
Roberto Beneduce, psychiatre et anthropologue, est professeur d’Anthropologie Médicale au Département de Cultures, Politique et Sociétés (Université de Turin) & Directeur du Centre Frantz Fanon, qu’il a fondé en 1996 dans le but de construire une ethnopsychiatrie critique. Il est actuellement Visiting Professor à l‘Université de Berkeley. Son travail clinique et ses recherches ethnographiques concernent la condition des immigrés et des refugiés ainsi que la prise en charge des victimes de torture, l’anthropologie de la violence sociale et politique en Afrique sub-sahariane (Cameroun, Mali, République démocratique du Congo), les changements des savoirs thérapeutiques locaux (églises de la guérison).
Claire MESTRE
Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.
Cherki A. Frantz Fanon, portrait. Paris: Seuil; 2000.
Cherki A. La frontière invisible. Violences de l’immigration. Paris: Éditions des crépuscules; 2006.
Deleuze G, Guattari F. Capitalisme et schizophrénie. Paris: Éditions de Minuit; 1972.
Lacan J. L’Envers de la psychanalyse. Paris: Seuil; 1991.
Louatah S. Les sauvages. Paris: Flammarion; 2012.
Mbembe A. Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée. Paris: La Découverte; 2010.
Pour citer cet article :
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/debats/heritiers-de-fanon/
Keywords:
Palabras claves:
Roberto Beneduce et Claire Mestre, coordonnateurs du dossier «Actualité clinique de Frantz Fanon», ont posé quelques questions à Alice Cherki1, psychiatre et psychanalyste, contemporaine de Fanon et auteure de la biographie Frantz Fanon (2000-2011).
CM : L’œuvre psychiatrique de Fanon a opéré par rupture à l’égard notamment d’une pensée psychiatrique sur l’autre, pour initier et créer autre chose, un autre regard, d’autres pratiques et pensées, et ce, dans la France coloniale, en métropole et dans sa colonie algérienne. En cela elle a été une critique intra-occidentale déterminante, en confrontant cette psychiatrie-là à ses points aveugles et en montrant notamment comment elle était traversée par le racisme d’une époque.
AC : Il faut rappeler que Fanon a toujours fait la différence entre les théories psychiatriques du primitivisme (Carothers, Porot) et la psychothérapie institutionnelle de Tosquelles, Le Guillan, Oury. Fanon est l’héritier de cette dernière conception… et pratique. Le décentrement de Fanon est né, en partie, de cet héritage.
La psychanalyse des années 1950, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est en régression par rapport à l’École viennoise (Otto Fénichel, Maria Langer et d’autres), qui avait entrepris une recherche liant psychanalyse et politique, sans oublier l’influence du Reich viennois. En France et aux USA, triomphent la théorie du Moi autonome et la conception d’une cure intimiste anhistorique centrée sur le conflit œdipien, avec des querelles dans lesquelles même la pulsion de mort n’existerait pas. Ce rappel est utile pour situer le débat contemporain. La quête de Fanon, sur ce qu’il y a avant l’Œdipe, sur les transmissions historiques brisées, sur l’importance du regard porté sur l’autre, ont ouvert la voie à un questionnement très actuel dans la cure même. La conception fanonienne de la folie, qui est d’être propulsé dans l’étrangeté radicale au monde, et le but du soin de remettre l’individu en liens avec les autres sont aujourd’hui partagés par bon nombre de thérapeutes, en Espagne, en Amérique latine, en France aussi, et sans doute en Italie.
L'accès à cet article est réservé aux abonnés. Connectez-vous pour accéder au contenu
- Voir l’entretien avec Alice Cherki par Claire Mestre et Malika Mansouri L’autre 2011 ; 12 (3).