Débat

© Frédéric BISSON Attention, école ! 22 décembre 2009. Marquage au sol à l’abord d’une école. Source (CC BY 2.0)

Du parcours d’Ulysse à la renaissance du phénix…

Favoriser des pratiques enseignantes résilientes par les apports de l’approche transculturelle auprès d’élèves exilé-e-s

Soumia KHARBOUCHSoumia Kharbouch est enseignante, psychopédagogue et formatrice d’enseignant-e-s, Université Paris Descartes.

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Kharbouch S. Du parcours d’Ulysse à la renaissance du phénix… Favoriser des pratiques enseignantes résilientes par les apports de l’approche transculturelle auprès d’élèves exilé-e-s. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°1, pp. 105-111

L’école est un lieu d’éducation, d’instruction, et de socialisation interculturelle. Cela en fait un lieu de construction identitaire affectivement investi. En effet, nous n’y apprenons pas que des savoirs, mais les paroles ou les silences, les renforcements ou les non-renforcements, les regards soutenants ou non, sont structurants et résonnent tout au long de la vie. Parallèlement, nous constatons, sur le terrain, que cet impact de l’école est minimisé. L’école doit ainsi se réapproprier cette place centrale dans la construction psychique du jeune, notamment en tant que lieu d’affiliation.

Dans cet écrit, nous donnerons la parole à Anna, une enseignante. Nous avons rencontré Anna lors d’une formation dédiée à des enseignants sur le thème de la diversité culturelle à l’école. Anna a souligné être dans une sorte d’ambivalence. elle sent que le public rencontré la pousse dans ses retranchements, sentiment présent chez bon nombre d’enseignant-e-s rencontré-e-s. Nous l’avons sollicitée afin de comprendre son vécu et ce qui pouvait révéler d’une enseignante rencontrant tous les jours des enfants exilés. Anna, livre à travers son discours, les difficultés que peuvent rencontrer les enseignant-e-s à la rencontre de ces jeunes qui arrivent avec un cartable, dans lequel ils portent beaucoup plus que des cahiers notamment un traumatisme lié à l’exil. Cet écrit est donc une réponse mais aussi un appel en faveur d’une école bienveillante prenant en compte les diversités portées par les élèves. Une école comme lieu d’émancipation et de (ré) affiliation, surtout pour des élèves avec des facteurs de risque importants. Avec la défense d’une conviction, qui est que l’école est un lieu de résilience ou du moins, devrait-elle l’être.

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Face à ces constats et convictions, nous nous sommes posé une série de questions dont les suivantes : comment l’école peut devenir un facteur de protection auprès d’élèves à risque ? Et quelle approche serait pertinente auprès de jeunes exilés plus spécifiquement ? A cette fin, nous avons trouvé dans l’approche transculturelle de Marie-Rose Moro, une approche humaniste et humanisante, favorisant le sentiment d’appartenance plurielle, l’harmonisation des mondes et valorisant les potentialités. Cette approche, utilisée dans des consultations ethnopsychiatriques, a clairement selon nous sa place en milieu scolaire. De là découle le fil interrogatif de notre écrit, soit : en quoi l’approche transculturelle peut permettre de favoriser des pratiques enseignantes résilientes ?

Ainsi, nous mêlerons la voix d’Anna à la nôtre en proposant un plaidoyer visant à sensibiliser les enseignants à l’approche transculturelle en montrant comment celle-ci peut soutenir la résilience d’enfants exilés, en milieu scolaire.

Témoignage d’Anna

Anna est une enseignante de 35 ans. Elle enseigne le français depuis une dizaine d’années à des élèves du premier cycle du secondaire. Ce qui l’a poussée à enseigner : la passion de la transmission et également « voir ses élèves évoluer et s’épanouir ». Elle est fervente défenseuse des pédagogies actives où l’élève construit ses savoirs en partant notamment de son expérience personnelle.

Anna se trouvait dans sa 2e année d’enseignement de français dans une classe passerelle (classe accueillant des élèves migrants afin d’acquérir les bases scolaires, principalement, en français, avant d’intégrer un cursus ordinaire) au moment de notre rencontre. Elle rencontre de plus en plus d’élèves en exil, fuyant des pays instables ou en guerre, arrivant très souvent seuls dans le pays d’accueil. Anna a choisi après un appel, en interne, de s’engager dans l’enseignement auprès d’élèves migrants. Elle souligne qu’enseigner le français langue étrangère est une passion pour elle.

Elle n’imaginait pas rencontrer des vécus aussi difficiles. Anna, très intéressée par les « autres cultures » souligne que le vécu des jeunes ne doit pas interférer dans l’espace scolaire. Elle aurait l’impression de penser à contre-courant si elle pensait autrement. Néanmoins, elle souligne ne pas mesurer à la fois le traumatisme vécu par ses jeunes (parce que cela ne se voit pas : ils sont très souriants), mais également les enjeux de l’école dans leur (re) construction. Anna se sent démunie et peu formée et lorsque nous évoquons le concept de résilience, cela lui semble très compliqué que l’école puisse participer à la construction de ces jeunes mais également, qu’elle doute qu’on puisse surmonter le vécu de certains de ces jeunes, ayant perdu des proches qu’ils ont vu mourir ou n’ayant connu que des situations de guerre. Comment l’école peut devenir résiliente ? Anna souligne qu’elle voit que les élèves créent du lien, s’attachent, attendent du renforcement et son regard approbateur. Elle ajoute que les élèves la sollicitent beaucoup mais elle ne sait comment mobiliser « cet élan » ni comment en faire des leviers d’apprentissage. Elle ne mesure pas son impact ni celui de l’école sur les jeunes qu’elle peut rencontrer.

Anna raconte par exemple le cas d’un élève, syrien, qui évoque continuellement en classe sa culture d’origine et sa langue d’origine lorsqu’il apprend un nouveau mot en français. Par exemple « ah chez nous, on dit comme ça… ». Elle souligne que cela ne la dérange pas mais que si tous les élèves le font dans leur langue d’origine, cela prend du temps. L’investissement des langues d’origine n’est pas perçu comme élément positif dans l’apprentissage du français. Au contraire, il semble interférer son acquisition.

Cette vignette insiste sur différents points, que nous avons par ailleurs constaté sur le terrain : le rôle central de l’enseignant-e notamment de par l’investissement que les élèves lui prête ; l’école représente souvent un lieu d’ambivalence, à l’image de la société et des positionnements politiques actuels où l’on peut à la fois accueillir les migrants et à la fois, leur faire sentir qu’ils doivent s’assimiler très vite ; l’accueil des enfants exilés, n’est pas encore adapté et les enseignant-e-s ne sont pas ou peu formé-e-s ; l’obsession omniprésente de l’apprentissage de la langue nationale et l’illusion d’une monoculture (injonction assimilationniste, soit appartenir à une seule culture avec l’attente d’un choix à réaliser entre ses différentes cultures).

La résilience et l’approche transculturelle : les deux faces d’une même pièce
De la résilience à l’école résiliente

« Mon petit, je suis très touché par le ton de ta lettre. Bien sûr que je me souviens de cet oiseau blessé aux grands yeux désespérés (Je n’ai fait que te remettre sur une voie que l’on t’avait fait quitter. Le rôle des maitres est bien entendu d’enseigner des matières principales, mais aussi de voir un peu plus loin et de chercher à comprendre le mal de vivre de certains enfants). (Lecomte 2004 : 256)

La résilience se définit comme « la capacité à résister et à se reconstruire à la suite d’un traumatisme » (Tisseron 2005 : 18). Boris Cyrulnik ajoute qu’il faut, pour parler de résilience, qu’il se présente une agonie psychique après le traumatisme (Aïn 2007). Aussi, la résilience apparaît : « comme le fruit d’une rencontre entre l’enfant et le fonctionnement psychique de ses partenaires relationnels principaux. Des facteurs environnementaux interviennent sur lesquels pourrait s’appuyer une action de prévention primaire auprès des enfants » (Golse 2006 : 61). Pour Marie Anaut (2005 : 13), la résilience est un « processus multifactoriel issu de l’interaction entre l’individu et son environnement, comprenant des variables internes au sujet (structure psychique, personnalité, mécanismes défensifs…) et des variables externes (caractéristiques de l’environnement socio-affectif) ». Boris Cyrulnik (2003 : 94) ajoute que ; « le résilient, seul, sans une rencontre pour rebondir, ne peut effectuer un « retricotage » affectif ». Ainsi la résilience se développe dans un environnement sécurisant, soutenu par ce que Boris Cyrulnik nomme des tuteurs de résilience. Les tuteurs de résilience sont : « des personnes manifestant empathie et affection, s’intéressant prioritairement aux côtés positifs de l’individu, laissant à l’autre la liberté de parler ou de se taire, ne se décourageant pas face aux échecs apparents, respectant le parcours de résilience d’autrui et facilitant l’estime de soi d’autrui » (Lecomte 2005 : 54). Anna soulignait qu’il lui semblait difficile de percevoir le déploiement d’une résilience en milieu scolaire. Soit comment l’école pouvait participer à la reconstruction d’un jeune « blessé ». Hanus (2001) souligne qu’en tant que personnes accompagnant des enfants et jeunes, les enseignant-e-s peuvent être de réels tuteurs de résilience. A cette fin, une étude menée sous la direction de Boris Cyrulnik, auprès d’enfants traumatisés devenus adultes a montré que chez ceux qui ont pu se reconstruire, l’école avait participé à leur résilience en favorisant leur estime de soi et la construction de liens d’attachement sécures. « C’est donc à l’école, parmi leurs camarades, auprès de certains professeurs, que ces enfants étaient parvenus à reprendre espoir en eux » (Cyrulnik 2001).

Marie Anaut partage un passage qui est pour nous central : « Lorsqu’elle s’avère contenante, l’institution scolaire peut se muer en un lieu de reconstruction et de revalorisation narcissique pour l’enfant carencé. Dans le jeu des interrelations multiples du contexte scolaire, l’enfant va expérimenter de nouvelles relations affectives et sociales qui peuvent compenser les carences et apaiser les tumultes de la vie. Ces nouveaux liens – qu’ils soient d’ordre amical et affectif ou qu’il s’agisse de trouver des modèles identificatoires – vont contribuer à consolider sa construction psychique, à élargir et à développer son système de valeurs et son sentiment d’appartenance à une institution sociale » (2006 : 15). De plus, l’école peut être pensée comme espace de protection notamment par le fait qu’elle permet de développer des compétences, d’investir des ressources et de les renforcer (compétences sociales, psychoaffectives, cognitives ou encore créatives) à travers des expériences relationnelles positives qui permettent à l’élève de se ré-affilier et de développer une estime de soi positive.

De l’approche transculturelle à l’école

« Vivre au-delà de ses propres frontières oblige à des réaménagements de tous ordres : culturels, psychiques et symboliques. La nécessité de se distancier du passé et celle de s’inscrire dans le présent pour s’intégrer fragilisent les personnes » (Di et Moro 2008 : 17)

Dans les dires d’Anna, il semble que la migration soit perçue comme une coupure définitive où le pays et la culture d’origines ne sont plus investis, étant donné que cet épisode fut potentiellement traumatisant. Les enseignant-e-s sont peu ou pas formés à cette question souvent parce que les différences culturelles génèrent une certaine confusion et ambivalence notamment dans la limite à accepter dans son expression.

Il est important de souligner que toute migration qu’elle soit volontaire ou involontaire, qu’on la nomme exil, immigration choisie ou non choisie, représente une rupture. En cela, elle a des effets traumatiques (Nathan, 1986) Il s’agit d’une rupture de la perception du monde, de la manière de décoder le monde. Pour les familles migrantes, la rupture avec le pays d’origine est lourde de conséquences, non pas que la migration soit intrinsèquement pathogène ou anxiogène mais ce sont les réaménagements et le risque de la perte de tout un ensemble d’étayages culturels fonctionnant comme cadre contenant de la pensée (Nathan 1988), qui peuvent l’être. L’enfant de migrant ou l’enfant migrant, évolue en terre d’accueil dans un univers multiple, dans des mondes hétérogènes disposant de logiques qui ne sont pas toujours compatibles, reliables : le monde de la maison et le monde de l’extérieur, auxquels répondent « un ici et un ailleurs, un avant et un après la migration » (Baubet et Moro 2000 : 112), venant s’ajouter à un clivage, déjà existant, entre culture scolaire et familiale, en milieu scolaire. Le risque pourrait être que l’enfant et plus précisément son identité se développe sur une logique de fracture, de clivage, reflet de la rupture migratoire. Bernier (1993) souligne qu’un stress d’acculturation peut également se présenter, soit un « processus d’accommodation et d’adaptation, de la part des membres d’une minorité ou d’une culture ethnique, aux valeurs culturelles dominantes de la culture majoritaire ». Ces pressions de changements et d’adaptation génèrent un stress pouvant notamment provoquer des symptômes psychosomatiques ou encore de la confusion et un flou identitaire (Bernier 1993). Dès lors, le jeune peut rencontrer de véritables situations stressantes, représentant de réels facteurs de risques et de vulnérabilité principalement dans les périodes des grands apprentissages et d’adolescence. La place de l’école est centrale dans tous ses réaménagements, parce qu’en son sein, on nous apprend à être et à devenir. Le but de l’école est de nous faire grandir et de nous projeter, soit faire du lien entre différents espace-temps. Lahire (1995, cité par Qribi, 2012 : 78) amène un élément important concernant le rapport à l’école chez les jeunes de l’immigration : « Le rapport à l’école comporte une dimension identitaire décisive (, elle revêt aussi un aspect ethnique qui pourrait, selon les situations, devenir un élément important dans la structuration des rapports pédagogiques et affecter à la fois le parcours scolaire et la définition identitaire, au regard d’une spécificité culturelle réelle ou imaginaire, en tout cas agissante dans les interactions du jeune avec son environnement. ». Il peut y avoir quelque chose, comme dans la migration, de violent dans le rapport à l’école. Dès lors, le rapport à l’école peut être empreint d’une certaine ambivalence chez le jeune, de par ses « violences d’imposition symbolique ». Il reste néanmoins un lieu particulièrement valorisé comme lieu d’acquisition de savoirs mais également comme vecteur de réussite sociale (Qribi 2012).

L’école semble ainsi remplir une place indéniable dans les enjeux de l’interculturalité en participant à la construction identitaire du jeune et à son métissage, notamment par ce rôle de messager et message où l’élève “transporte des pratiques et des objets d’un univers à l’autre, opère des traductions, se livre à un travail interprétatif” » (Charlot et Rochex 1996, cités dans Qribi, 2012 : 68). Le métissage est un des enjeux chez les jeunes aux appartenances multiples et il est un point central dans l’approche transculturelle. Soit permettre que ce métissage puisse se réaliser, sous peine que le jeune se retrouve dans une situation de crise, ne s’inscrivant nulle part, ou uniquement dans sa culture d’origine ou d’accueil. L’école, en tant qu’institution, peut soit faciliter ce travail de métissage soit, l’entraver. Il ne suffit pas, pour se métisser, de s’adapter mais cela implique des mécanismes complexes, ponctués par des deuils et des compromis. Cela amenant progressivement, à travers la gestion de situations diversifiées, à l’estompage de clivages. Laissant la possibilité au sujet d’habiter et d’être habité par les différentes cultures, de passer d’une référence culturelle à l’autre. Le métissage ne concerne pas que le sujet mais elle exige du pays d’accueil et de ses institutions de sortir de l’ethnocentrisme, en exigeant décentrage, acceptation de l’altérité, et construction d’un sens partagé sous peine de ne générer que sentiment identitaire négatif et confusion (Di et Moro 2008). Ajoutons que de par sa structure et ses dispositifs, l’école est aujourd’hui perçue comme « le lieu privilégié de l’intégration à la société française (d’accueil) des enfants et des familles étrangères » (Sabatier et Berry 1999 : 154).

En quoi l’approche transculturelle peut soutenir un travail de résilience chez les enfants exilés ?
Pistes de réflexion et d’action

Ainsi pouvons-nous parler de résilience transculturelle ? Ces deux approches développent en leur sein des valeurs humanistes et ouvrent le champ des possibles. Au même titre que l’approche transculturelle avance que la rupture et le trauma générés par la migration et l’installation en pays d’accueil, souvent dans des conditions traumatisantes, peuvent être dépassés ; l’approche résilience insiste sur le fait qu’il n’y a pas de fatalité, que le sens peut être retrouvé, mais à condition de créer des espaces, des relations qui favorisent cela. En cela, nous sommes persuadé que l’école, la classe, la classe-passerelle, les pairs, et les enseignants représentent autant de facteurs de protection et autant d’éléments permettant de se réaffilier et de se reconstruire. Quant à la résilience à l’école, les auteurs soulignent, qu’elle est possible à l’école notamment en offrant à l’enfant, « l’occasion de développer des compétences sociales à travers des expériences relationnelles positives : avec les pairs, les enseignants et les divers adultes qui interviennent auprès de lui » (Anaut 2005 :15). Certes, dans la résilience, il ne s’agit pas de dire que l’école peut sauver ces enfants, à elle-même, mais elle peut clairement y participer et ainsi venir contrebalancer des facteurs de risque importants, en devenant un facteur de protection. L’approche transculturelle, quant à elle, insiste clairement sur les points suivants : travailler sur l’entre-deux, s’interroger sur ce qui fait sens pour la personne, faire cohabiter les différents mondes investis, donner une place à l’expression des diversités comme les langues d’origines et permettre au jeune de se métisser, soit investir le « et » à la place du « ou ». A travers, la prise en compte du vécu migratoire mais également le travail de reconstruction et de ré-affiliation, l’approche transculturelle, en ce qu’elle permet un travail de tissage et d’inscription dans le réel, favorise selon nous un travail de résilience. Goguikian Ratcliff (2007 : 249) souligne que : « (…) l’élaboration du traumatisme pré-migratoire, ainsi que la préservation d’un lien vivant à la culture d’origine constituent des facteurs de protection efficaces pour préserver chez l’enfant migrant un fonctionnement psychique efficient, en dépit d’un passé familial traumatique  ». Dans le cadre de cette réflexion, nous pensons à vos paroles, Anna, qui soulignaient qu’investir ces histoires migratoires vous semblaient difficiles notamment de par votre perception des savoirs scolaires. Mais, les savoirs peuvent être investis de l’histoire des élèves. L’histoire et les expériences de vie peuvent être de réels leviers d’apprentissage. De plus, vous bénéficiez de sollicitations multiples des élèves, reflet, selon nous de la confiance qu’ils vous font, et de la main qu’ils vous tendent. Ces sont des occasions pour le jeune de se métisser et également des terreaux d’apprentissage fertiles.

Plus concrètement, nous avons pu mettre en place des dispositifs avec des enseignant-e-s et des étudiants en psychologie en classe-passerelle, qui sont en cours de test. Il n’y a évidemment pas de dispositif-type ou de réponses automatisées à toute situation. Il est avant tout important selon nous de mobiliser les ressources disponibles dans le groupe-classe (origines, langues, talents, nombre d’élèves) et de développer des postures et rôles chez l’enseignant-e. Par exemple, l’enseigant-e peut remplir le rôle d’animateur et de médiateur, profitant de situations (vécus exprimés, conflits, questionnements) qui se présentent. Plusieurs éléments se dégagent du dispositif testé et qui représentent des éléments-clés à explorer et approfondir dans le développement de l’approche transculturelle et l’approche résiliente en classe : la nécessité de la formation des enseignant-e-s : les enseignant-e-s de la classe-passerelle ont été sensibilisé-e-s à l’approche transculturelle à la résilience mais également à la médiation transculturelle à l’école : lieu de négociation pour le jeune, valorisation des langues et cultures (légitimer et se réapproprier son histoire notamment à travers des tables de discussion) ; la place du français et les langues d’origine : le français peut s’apprendre à travers des activités diverses impliquant le vécu : groupe de discussion, exposés, visites… Soit faire de l’interactif qui à la fois leur permettra de s’affilier, connaitre le pays d’accueil, favoriser des activités qui permettent de se raconter -en acceptant les limites des élèves et de ce qu’ils peuvent investir- (présentation de son pays), valoriser les langues d’origine, qui représente un terreau et support riche à l’apprentissage d’une langue étrangère ; favoriser la pédagogie par projets (permettre à la personne de se projeter dans le concret et donc dans le réel) ; se servir du groupe et des ainés : favoriser une dynamique de groupe et développer un système de tutorat : d’anciens élèves de la classe passerelle, profiter des expériences pour en faire des leviers d’apprentissage. Ce dispositif test a offert des résultats riches dont on ne peut encore mesurer la portée. Néanmoins, enseignant-e-s et élèves se sont liés afin de mener leur projet à bien, dans une dynamique que les enseignant-e-s ont nommé de magique et bienveillante. Pour clore, nous souhaitions faire un lien entre le tuteur de résilience et ce que Marie-Rose Moro nomme le passeur de frontière. Il est celui qui vient faire le lien entre les différents mondes investis et va venir légitimer le travail de métissage. Ainsi, ils sont tous deux des figures bienveillantes, qui rencontrées sur le chemin, peuvent venir à la fois prodiguer contenance et structure par leur bienveillance mais également permettre aux jeunes de se métisser. L’enseignant-e, figure représentant le pays d’accueil par excellence a un impact qu’il ne peut imaginer sur le jeune. L’enseignant-e peut venir accompagner le jeune dans la construction de passerelles et de ponts.

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