Brèves
© Martin RÉGLEY D.G.
Le regard, propriété privée ou publique ?
Sevan MINASSIAN
Sevan Minassian est rédacteur en chef de la revue L’autre. Il est pédopsychiatre, psychothérapeute et thérapeute familial à la Maison de Solenn (APHP, Hôpital Cochin, Maison des Adolescents). Il est chargé de cours à l’Université Paris-Cité et chercheur au sein de l’équipe PsyDEV (CESP) de l’unité INSERM (UMR 1018) de l’Université Paris-Saclay.
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Les 1001 regards du monde… Le regard sous toutes les coutures
L’image était au cœur de l’exposition « à toi appartient le regard » qui se tenait du 30 juin 2020 au 1er novembre 2020 au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Une première pour le musée qui n’avait auparavant, jamais exposé l’image contemporaine. L’occasion de mettre un pied hors de l’Europe et d’aller visiter le monde et même « les mondes » des 26 artistes présentés. Venant de République Démocratique du Congo, du Vietnam en passant par l’Australie ou encore le Cameroun, cette exposition a fait souffler un véritable vent de modernité sur fond d’histoire. De plus, dans un monde fracturé par la dure crise sanitaire qu’il traverse et qui empêche les mobilités, cette exposition a permis au monde de venir vers nous.
Une introduction riche en symboles
Saisissant SIXSIXSIX, qui dès l’accueil dans la salle d’exposition du Musée du Quai Branly Jacques Chirac, donnait aux regards – le nôtre et celui de l’artiste- une place prépondérante. Dans cette mise en scène, le spectateur se retrouvait face à une série de 666 autoportraits du photographe Camerounais Samuel Fosso, introduisant parfaitement l’exposition et la question de la vue et du regard… Enveloppé par cette multitude de visages, le spectateur pouvait distinguer une pluralité émotionnelle présente sur le visage de l’artiste : une langue sortie, un œil fermé ou juste un sourire. La sensation d’être entouré de six-cent soixante-six Samuel Fosso disparaissant au fur et à mesure que les expressions du visage apparaissaient. De par son installation tout en arrondis, cet impressionnant dispositif donnait au spectateur le sentiment d’être seul dans une arène face à 666 personnages scrutateurs… comme une manière de mettre en exergue le monde dans lequel nous sommes plongés et où les dictats de la société et ses regards comptent.
L’homme face au monde infini
Outre le fait de placer le regard et la vue au centre de l’exposition, c’était aussi l’idée de l’homme face à son monde dont il était question. « Lost In paradise » de Lek Liatsirikajorn, résume parfaitement cela. Sur les 7 images exposées, le photographe Thaïlandais emmenait le spectateur aux abords de Bangok. Les images exposées permettaient d’avoir une vision rapide des différentes mutations géographiques et sociales engendrées par la mondialisation en Asie… Un mélange tout en nuance de paysages naturels auxquels s’entremêlaient des tours aux allures New-yorkaises. Représentant ici le parfait parallèle entre le monde rural et le monde citadin, les images exposées donnaient à voir les nouveaux exodes. Le travail du photographe thaïlandais montre des hommes en exil, souvent photographiés de dos ou de profil, ces hommes venus des campagnes en quête d’une vie « meilleure », nous laissait voir, regarder et même observer comment « Après des mois ou des années, certains d’entre eux sont installés dans un no man’s land de colonies périurbaines où la nature commence à faire valoir à nouveau ses droits » – Site l’oeil de la photographie.
Le sens de l’exposition et sa disposition
Vidéos, tables numériques interactives, projections et décors se mélangeaient, donnant aux photographies une perception et un sens différents des photos exposées « normalement ». C’est à travers l’agencement de l’exposition que cette dernière a trouvé son sens et laissé au regard subjectif une multitude de choix. Il ne s’agissait pas simplement de photos accrochées au mur mais d’un vrai parcours évolutif liant nos sens à la photographie.
De salle en salle, chaque découverte d’image sonnait comme une découverte d’une nouvelle exposition.
Une œuvre marquante dans la disposition de cette expo fut celle du photographe Mexicain José luis Cuevas. Sur le pan de mur qui lui était réservé, la série d’images « A kind Of Chronic Disease » était totalement reliée à l’œuvre publiée par l’auteur japonais Kenzaburo Oé juste après la catastrophe de Fukushima. Ainsi, en passant par Tokyo, Fukushima ou encore Nagasaki, le photographe mexicain a retracé la vie du célèbre prix Nobel de littérature de 1994. Il nous montrait ici des portraits glaçants et intenses des séquelles de la catastrophe nucléaire dans une région encore meurtrie. L’installation présentait le portrait d’un homme placé sous l’oeil de 10 caméras de surveillance présentes au premier plan de la photo. Même libre de se faire sa propre interprétation subjective, le spectateur ne peut s’empêcher de penser cette mise en scène et l’image comme une manière pour l’artiste de nous montrer les multiples possibilités d’être constamment surveillés, épiés, regardés…
Voici donc une exposition libre et libérée, que nous avons pu découvrir entre 2 confinements… Une exposition qui ouvrait la réflexion du visiteur sur le monde de l’image et des regards. Un évènement où les sensibilités et les histoires de vie invitaient chacun à ouvrir son esprit sur la multiplicité du monde.
Martin Régley