Brèves

© Julien Harneis - Father and sonSource (CC BY-SA 2.0)

Just another day at work


Bob GHOSN

Croix-Rouge de Belgique

Pour citer cet article :

GHOSN B. Just another day at work. revuelautre.com ; 2019, 3 janvier.


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/blog/just-another-day-at-work/

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Ici, quand le réveil sonne à six heures, je suis déjà réveillé.
La base Croix-Rouge où je vis et travaille, est déjà en action.
Les chauffeurs vérifient les niveaux dans les véhicules et les nettoient de la boue accumulée la veille. La radio grésille pour les premiers contacts VHF avec Beni et Goma, afin de prendre les informations de sécurité de la nuit. La logistique a déjà commencé à préparer le matériel pour les activités de la journée. Les « mamans maison » qui font la cuisine et le ménage à la base, ont déjà lancé leurs fourneaux.

Réveil. Rapide coup d’oeil sur les notifications et mails de la nuit. Encore des coups de feu à Beni durant la nuit, calme dans notre région, Mangina, et quelques mails arrivés de nuit sur nos activités d’hier. Tiens, le lave-vaisselle à Stalle est réparé !
Encore ensommeillé, je réponds aux messages les plus urgents avant de courir à la douche.

Ici, courir à la douche n’est pas une image mais une réalité. La douche est à l’extérieur et, souvent, il pleut. C’est pratique, on est déjà mouillé avant la douche. Je cours vers, et ensuite hors de la douche. L’eau est froide et je n’aime pas ça. Après des années de terrain, je continue de trouver ça difficile, la douche froide le matin. Cela fait partie des choses, auxquelles je ne m’habituerai jamais. Donc, douche rapide.

Réunion du matin, l’équipe est au complet. De nombreux collègues de la Croix-Rouge de RDC, Victor et Boris qui viennent de la Croix-Rouge du Togo. Ils supervisent respectivement les Finances et les Enterrements Dignes et Sécurisés (EDS). Cecilia, elle, vient de la Croix-Rouge du Malawi. Elle est responsable de nos activités d’engagement communautaire.

Réunion rapide. Les points fusent. Ils ressemblent parfois à un inventaire à la Prévert avec toujours ce fil conducteur, cette obsession. Faire plus, faire mieux pour arrêter ce terrible fléau. Aujourd’hui, durant la réunion, on a discuté de l’approvisionnement en eau de notre base, essentiel pour le nettoyage du matériel ; des formulaires digitaux (ODK) utilisés pour faire remonter les données et de l’inquiétude de la Maman maison parce que moi, Bob, « ne mange pas ! ».
Les discussions sont rapides, très pragmatiques. Ici, on parle vite, on soulève un point, on propose une action et on valide. Si un point nécessite plus de discussions, on fixe un moment de la journée pour en parler et on passe au suivant. Pas de temps à perdre, Ébola n’attend pas.

Nous sommes à Mangina à l’est de la RDC. C’est ici que le premier cas d’Ébola s’est déclaré en Juin 2018. C’est de ce cas unique à Mangina, que la chaine de transmission s’est développée dans toute la région. De Mangina, le virus s’est propagé à Beni, Butembo et d’autres localités de l’est de la RDC. A la fin Octobre, plus de 220 personnes sont atteintes d’Ébola et plus de 160 en sont mortes. Le nombre de morts et de personnes malades d’Ébola continuent de d’augmenter tous les jours, à Beni et Butembo. En revanche, à Mangina, grâce à la mobilisation de tous, nous n’avons plus eu de nouveau cas d’Ébola depuis le 11 Octobre. C’est un succès. Un succès fragile, mais un succès quand même. Nous faisons tout pour éviter l’apparition d’un nouveau cas, qui relancerait une nouvelle chaine de contamination.

Tout doit aller vite. A sept heures trente, les équipes doivent être en place, pour répondre aux demandes d’EDS et pour faire la sensibilisation communautaire. Ces deux axes de travail sont littéralement vitaux.

Les cadavres morts d’Ébola sont très contagieux. Il est essentiel de les enterrer en évitant la contagion. Bien sûr, c’est une question très délicate. Les rites funéraires sont aux coeur de notre identité, comme Humains. Depuis la Préhistoire, nous, humains, enterrons rituellement nos morts. Chaque culture, chaque civilisation, chacun d’entre nous tient à ses rituels. Des pyramides au Gange, depuis le plus profond de l’histoire, notre humanité s’exprime à travers les traitements qu’on réserve à nos morts. Toucher à cela revient à toucher au plus profond de qui nous sommes.

Ici, pour éviter la propagation d’Ébola, nos équipes doivent comprendre et respecter cela et, en même temps, convaincre la famille du défunt qu’un enterrement habituel est trop dangereux dans un contexte Ébola. Il faut convaincre la famille d’accepter un enterrement digne et sécurisé par les équipes de la Croix-Rouge, afin d’empêcher toute contagion. C’est très délicat ; pénible pour les familles et difficile pour nos équipes.

Les cadavres ne sont pas les seuls vecteurs de contagion d’Ébola, loin de là. Nous devons aussi expliquer aux gens, en termes compréhensibles, les différents modes de transmission d’Ébola. Les gens doivent comprendre comment se protéger ; comment éviter de contracter ce virus affreux. Nous devons leur parler encore et encore. Expliquer inlassablement. Écouter les rumeurs, les fausses informations. Les contredire, calmement, avec le sourire.

Pour cela, nos équipes Croix-Rouge font de la porte à porte, organisent des activités de cinéma mobile, des émissions radios. Nous parlons dans les églises, les mosquées. Nous tentons de convaincre les leaders traditionnels, les femmes, les enfants, les jeunes, les moins jeunes, etc. Nous ne négligeons aucun angle, aucune opportunité de faire passer le message de prévention d’Ébola. Ne laisser aucun espace libre à la propagation de la maladie ou des rumeurs.

La journée passe en un clin d’oeil. Pas un moment de répit. Recevoir les alertes de décès, analyser la cartographie des régions où les populations sont les plus résistantes aux messages de prévention d’Ébola, évaluer le risque avant d’envoyer une équipe ; sera-t-elle bien reçue ? La population sera-t-elle ouverte à notre message de prévention d’Ébola ou à un EDS ?

Bien évidemment, il est important d’aller dans les zones où le message de prévention d’Ébola est le moins bien reçu, afin de renverser cette tendance. Mais ce sont aussi les zones où nos équipes risquent de faire face à des réactions négatives, voire de la violence. Si les populations ne comprennent pas la réalité d’Ébola et ses modes de transmissions, ils croiront aux rumeurs, y inclus celles qui accusent les humanitaires de propager Ébola.

Nous sommes constamment sur le fil du rasoir et le cycle ne s’arrête jamais : recevoir les informations, analyser, comprendre, évaluer la sécurité, l’état de la route, déployer les équipes, préparer l’équipe suivante, et de nouveau, analyser, comprendre, évaluer, déployer…

A Mangina, la Croix-Rouge maintient un couvre-feu terrain est à dix-sept heures.
C’est à dire qu’à 17 heures, toutes les équipes doivent être rentrées à la base, pour des raisons de sécurité. Nous sommes dans une zone qui est en conflit depuis des années et où de nombreux groupes armés sont présents.

Couvre-feu ne veut pas dire fin des activités, loin de là.
Une nouvelle frénésie s’empare de la base : Le matériel doit être déchargé et remis ; les rapports d’activités doivent être finalisés et envoyés à Beni ; chaque équipe doit faire son débriefing : Comprendre ce qui a bien fonctionné, identifier ce qui pourrait être amélioré. S’assurer que tout le monde dans l’équipe va bien.

Un marathon de réunions, de discussions, de saisie et d’envoi de données commence. C’est une course contre la montre. A vingt-deux heures, nous coupons le générateur, seule source d’électricité ici. Tout doit être clôturé avant 22 heures.

A 22 heures, la base plonge dans le noir et s’endort avec la satisfaction du travail bien fait. La même inquiétude lancinante continue de nous hanter, la nuit comme la journée. Comment faire plus, comment faire mieux pour faire reculer Ébola ?

A vingt heures, aujourd’hui j’ai décidé de prendre dix minutes pour appeler à mon fils qui a dix ans et qui vit à Bruxelles. C’est mon petit plaisir. Je lui demande :

– Comment c’était à l’école aujourd’hui ?

– Mais papa, nous sommes samedi aujourd’hui.

–  Ah bon ?

 

Mangina
République Démocratique du Congo
30 octobre 2018

Vous pouvez joindre Bob Ghosn sur @bobghosn.