Article de dossier
Un exil peut en cacher un autre
Publié dans : L’autre 2022, Vol. 23, n°1
Dossier : Traumas extrêmes et collectifs
Muriel KATZ
Muriel Katz est Maître d’Enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne, Institut de psychologie (CARPSY DIS), psychologue - psychothérapeute FSP.
Manon BOURGUIGON
Manon Bourguignon est psychologue clinicienne et Post-doctorante à l’Université de Lausanne (CARPSY DIS).
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Pour citer cet article :
Katz M, Bourguignon M. Un exil peut en cacher un autre. Itinéraire d’un bébé caché pendant la Shoah. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°1, pp. 41-51
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/un-exil-peut-en-cacher-un-autre/
Un exil peut en cacher un autre. Itinéraire d’un bébé caché pendant la Shoah
L’étude de cas porte sur les répercussions psychiques des catastrophes d’origine sociale; il s’agit de pointer combien l’effondrement des garants métasociaux met à mal les contrats narcissiques. Les contenants externes et internes sont soumis à rude épreuve suite à des exils répétitifs qui font suite à des ruptures catastrophiques de différentes natures. À partir de l’analyse du récit biographique d’une femme qui retrace son passé de bébé caché pendant la Shoah, nous explorons la capacité d’une survivante à se raconter et à retracer l’histoire des siens après différentes ruptures catastrophiques. Un nouveau métacadre social suffisamment stable donné dans un pays d’accueil favorisera un important remaniement identificatoire au service de la différenciation subjective: cela permet de rompre avec les pactes aliénants du groupe familial d’origine et de se distancer du passé traumatique qui hante la famille survivante. Nous tenterons de montrer combien la remembrance du passé soutient la restauration des contrats narcissiques fortement mis à mal.
Mots clés : conflit de loyauté, enfant caché, exil, histoire familiale, narcissisme, récit de vie, relation familiale, Shoah, subjectivation, traumatisme psychique.
There can be more than one exile. Life trajectory of a baby hidden during the Shoah
This case study examines the psychological repercussions of socially-driven disasters; the aim is to show how the collapse of meta-social guarantees undermines narcissistic construction. External and internal envelopes are put drastically to the test following repeated exiles occurring after catastrophic disruptions of different kinds. Based on an analysis of a woman’s biographical narrative of her past as a baby hidden during the Shoah, we explore a survivor’s ability to tell her own story and recount her relatives’ story following different catastrophic disruptions. A sufficiently stable new social meta-framework provided by a host country can nurture substantial identity reajustment, favouring subjective differentiation: this enables a break from the alienating pacts of the family group of origin and a distancing from a traumatic past that haunts the family survivors. We try to show how remembering the past restores narcissistic contracts that have been drastically put to the test.
Keywords: family history, family relationship, hidden child, life story, loyalty conflict, narcissism, psychological trauma, Shoah, subjectivation.
Un exilio puede esconder otro exilio. Itinerario de un bebé escondido durante el Holocausto
El estudio de caso se centra en las repercusiones psicológicas de los desastres de origen social; se trata de mostrar el impacto negativo de la destrucción de los llamados garantes metasociales sobre los contratos narcisistas. Los contenedores externos e internos se encuentran sometidos a desafíos severos como consecuencia de exilios sucesivos a rupturas catastróficas de diversa naturaleza. A partir del análisis del relato biográfico de una mujer que retoma su pasado como bebé escondido durante el Holocausto, exploramos la capacidad de esta sobreviviente de contarse a sí misma y rastrear la historia de su familia tras varias rupturas catastróficas. Un nuevo marco social suficientemente estable en un país de acogida promoverá una importante reorganización identificatoria al servicio de la diferenciación subjetiva: esto permitirá romper con los pactos alienantes del grupo familiar de origen y así tomar distancia del pasado traumático que persigue a las familias sobrevivientes. Intentaremos mostrar hasta qué punto la rememoración del pasado apoya la restauración de contratos narcisistas que han sido fuertemente afectados.
Palabras claves: conflicto de lealtad, exilio, historia de vida, historia familiar, narcisismo, niño escondido, relación familiar, Shoah, subjetivación, trauma psíquico.
Les « tentatives de déshumanisation infligées par des hommes sur d’autres hommes » (Pestre & Benslama, 2011, p. 19) renvoient à la notion de catastrophe psychique d’origine sociale (Kaës, 2020). L’accent est mis sur le séisme que représentent la violence d’État sur le monde interne du sujet et sur ses liens intersubjectifs (Kaës, 2012 ; Puget, 1989). Souvent traumatisées, les personnes sont menacées tant dans leur intégrité physique que mentale (Amati Sas, 2002 ; Kaës, 2012). Les garants métasociaux qui promeuvent habituellement les grands interdits fondateurs sont complètement bouleversés ; parfois ils s’effondrent, entravant l’étayage sur les médiations institutionnelles (Kaës, 2012). Les sujets sont dès lors aux prises avec des angoisses singulières associées à l’effondrement des dépositaires des parties les plus vulnérables de la psyché (Amati-Sas, 2002).
Lorsque la catastrophe sociale extrême se double d’une expérience de migration forcée au service de la survie (Grinberg & Grinberg, 1986). La perte des contenants culturels externes (Nathan, 1986) engendre angoisse et sentiment d’étrangeté en lien avec le déracinement migratoire, mais aussi avec le bouleversement de repères internes structurants qui fait vivre au sujet une “véritable mue” (Giraud & Moro, 2002, p. 326). Le potentiel traumatogène (Moro, 1998) associé à l’expérience de la migration forcée vient complexifier les expériences préalables vécues lors des persécutions. Cherchant refuge dans un autre pays pour se mettre à l’abri d’une catastrophe sociale, les sujets font face à de multiples ruptures et à la mise à mal des contrats narcissiques scellés avec leurs groupes d’appartenances (familiaux, socio-politiques, religieux, etc.).
Quant au travail de mémoire qu’appelle en après-coup la violence d’État, il est d’autant plus complexe qu’il fait face aux discontinuités caractéristiques d’une catastrophe sociale (Altounian, 1990 ; Kaës, 1989, 2012). Confrontés à l’incertitude et aux blancs de l’histoire familiale, nombreux sont les survivants et les descendants qui tentent de « conduire [leur] enquête et tisser [leur] discours de mémoire » (Kaës, 2009b, p. 219).
C’est ce que Kaës (2012) appelle la remembrance, une forme de remémoration spécifique qui consiste métaphoriquement à retisser ensemble des morceaux « dispersés, éclatés, déliés » (p. 247), à remembrer les « fragments épars » et dispersés du tissu mémoriel. Or, un tel processus appelle un récit polyphonique (Kaës, 1996).
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