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Parcours d’exil et trajectoires de vulnérabilité psychique : du trauma à la narrativité


Dossier : Traumas et cultures

Gésine STURM

Gesine Sturm est psychologue clinicienne, MCF en psychologie clinique interculturelle, LCPI - EA 459, Université Jean Jaurès, Toulouse, membre du comité de rédaction de la revue L’autre.

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Pour citer cet article :

Sturm G. Parcours d’exil et trajectoires de vulnérabilité psychique : du trauma à la narrativité. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°3, pp. 240-249


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/parcours-dexil-et-trajectoires-de-vulnerabilite-psychique-du-trauma-a-la-narrativite/

Parcours d’exil et trajectoires de vulnérabilité psychique : du trauma à la narrativité

Cet article propose une réflexion théorique sur les liens entre psychotraumatisme, vulnérabilité psychique et narrativité chez les migrants en parcours d’exil.  Afin de penser l’intrication entre la vie psychique et les contextes socioculturels des parcours de vie des migrants, nous introduisons la notion de « trajectoire de vulnérabilité psychique ». Ces trajectoires peuvent provoquer une désorganisation du travail psychique et limiter la capacité du sujet d’intégrer son expérience dans un récit de soi. Un travail clinique qui offre la possibilité de mobiliser des représentations culturelles familières pour le sujet peut faciliter le processus d’élaboration et d’intégration de l’expérience dans un récit de soi. Si la notion de « trajectoire de vulnérabilité » permet de penser la perturbation de la vie psychique par une accumulation d’adversités, les théorisations concernant la narrativité indiquent des possibilités de dépasser les effets de cette perturbation par une mise en récit.

Mots clés : culture d’origine, migrant, migration, psychologie, récit de vie, traumatisme psychique, vulnérabilité.

Histories of exile and trajectories of psychic vulnerability: from trauma to narrative

This article offers a theoretical reflection on the link between psycho-trauma, psychic vulnerability and narrative among migrants in exile. We introduce the notion of trajectories of psychic vulnerability in order to reflect the intertwining between psychic life and the socio-cultural contexts of migrants’ life trajectories. These trajectories can cause disorganization in work on the psyche and limit a person’s ability to integrate experiences into a self-narrative. Clinical approaches that afford the possibility of mobilizing familiar cultural representations can facilitate the process of elaboration and integration of experience into a self-narrative.

While the notion of trajectories of psychic vulnerability allows us to conceptualize the disruption of psychic processes as a result of the accumulation of adversities, theories on narrative also point to the possibility of overcoming the effects of this disruption by creating a narrative.

Keywords: culture of origin, life story, migrant, migration, psychic trauma, psychology, vulnerability.

Trayectorias de exilio y de vulnerabilidad psíquica: del trauma a la narratividad 

Este artículo propone una reflexión teórica sobre las relaciones entre traumatismo, vulnerabilidad psíquica y narratividad en los migrantes en exilio. Para pensar el entrelazamiento entre la vida psíquica y los contextos socioculturales de las trayectorias de vida de los migrantes, introducimos la noción de “trayectoria de vulnerabilidad psíquica”. Estas trayectorias pueden provocar una desorganización del trabajo psíquico y limitar la capacidad del sujeto para integrar su experiencia en una narración de sí mismo. El trabajo clínico que ofrece la posibilidad de movilizar las representaciones culturales familiares para el sujeto, puede facilitar el proceso de elaboración e integración de la experiencia en este trabajo de narración. Si la noción de “trayectoria de vulnerabilidad” permite pensar la perturbación de la vida psíquica por acumulación de adversidades, las teorizaciones sobre la narratividad indican las posibilidades de superar los efectos de esa perturbación a través del acceso a una narrativa.

Palabras claves: cultura de orígen, historia de vida, migración, migrante, psicología, trauma psíquico, vulnerabilidad.

La clinique du trauma en situation interculturelle soulève des questions complexes, que ce soit au niveau théorique ou au niveau des stratégies d’intervention. Dans cet article, nous souhaitons comprendre cette clinique à partir d’une perspective de psychologie interculturelle qui permet de penser l’intrication entre la vie psychique et les contextes socioculturels des parcours de vie des migrants. La psychologie interculturelle s’intéresse aux dynamiques entre psychisme et contextes socioculturels, et notamment aux dynamiques, interpersonnelles et interculturelles, qui se déploient en situation de contact culturel (Guerraoui & Pirlot, 2011 ; Reveyrand-Coulon & Daure, 2019). Dans cette perspective, nous proposons d’aborder l’impact des parcours migratoires sur le vécu des migrants en parcours d’exil, à partir de la notion de trajectoires de vulnérabilité psychique. Nous discutons ensuite l’impact du trauma sur la capacité du sujet de penser et de communiquer son expérience en s’appuyant sur des représentations culturelles existantes. L’élaboration de ces expériences traumatiques est facilitée par un travail sur la narrativité qui mobilise des représentations culturelles familières pour le sujet.

Penser le parcours d’exil dans le travail avec les migrants en parcours d’exil1

Les publications sur la clinique du trauma chez les migrants en parcours d’exil se sont multipliées au cours des dernières décennies et témoignent d’une clinique particulièrement complexe (De Haene & Rousseau, 2020 ; Drozdek & Wilson, 2004, 2007 ; Kirmayer et al., 2007). Engagées dans des parcours migratoires de plus en plus longs et périlleux, ces personnes arrivent en Europe après des périodes prolongées d’une vie pertubée par des évènements imprévisibles et le manque de repères stables et de protection (Lhuilier & Pestre, 2018). Les circonstances ayant provoqué leur départ ont exposé beaucoup d’entre elles aux séparations et ruptures, parfois brutales, avec leur environnement social et culturel. Pour certaines, ces situations ont provoqué des deuils difficiles à élaborer, en raison de l’éloignement, de l’absence d’un entourage soutenant et d’une impossibilité à s’appuyer sur des rites de deuil qui pourraient aider à surmonter la perte d’un être aimé (Bacqué, 2020 ; Romano, 2015). Par ailleurs, les migrants en parcours d’exil ont souvent été exposés à des situations potentiellement traumatogènes, sans pouvoir s’appuyer sur les ressources psychiques, sociales et culturelles qui auraient pu prendre fonction de protection et renforcer ainsi leur résilience (Raghavan & Sandanapitchai, 2020 ; Houlle et al., 2017 ; Tarquinio & Montel, 2014).

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  1. Nous utilisons cette notion pour parler de tout parcours migratoire qui implique le fait de quitter définitivement son pays d’origine en cherchant une protection, indépendamment de la présence ou de l’issue d’une éventuelle demande d’asile.