Article de dossier
© Jacques Beaulieu, C-Sud-ouest-Kep (12), 12/03/2007. Source D.G.
Les fantômes au travail
Publié dans : L’autre 2018, Vol. 19, n°3
Dossier : Morts ou vifs
Geneviève WELSH
Geneviève Welsh est psychanalyste, Société Psychanalytique de Paris. Travaille à l’Association de Santé Mentale du 13e arrondissement de Paris depuis 1983.
Devereux G. Ethnopsychiatrie. Ethnopsychiatrica 1978; 1 (1): 13.
Devereux G. Essai d’ethnopsychiatrie générale (trad. de l’anglais par Tina Jolas et Henri Gobard). Paris: Gallimard; 1970.
Freud S. (1917) Deuil et mélancolie. In: Métapsychologie. Paris: Gallimard; 1986.
Gibeault A. Symbolisation et psychose. Bulletin de la Société Psychanalytique de Montréal 2015, 27 (2).
Guillou AY. Structuration rituelle de la relation défunts-vivants au Cambodge dans les morts individuelles et collectives». L’autre. Cliniques, Cultures et Sociétés (à paraître).
Guillou AY. Le ‘maître de la terre’. Les cultes rendus au cénotaphe de Pol Pot (Nord du Cambodge). In: Garibian S. (ed.) La mort du bourreau. Paris: Petra; 2016.
Guillou AY. Ethnicité et bouddhisme au Cambodge. Les Cahiers du Ceriem, Centre d’Etudes et de Recherches sur les Relations Interethniques et les Minorités 2002; (10): 9-17.
Nachin C. Les fantômes de l’âme, à propos des héritages psychiques. Paris: L’Harmattan; 1993.
Rechtman R, Welsh G. Approche transculturelle des patients non francophones originaires du Sud est asiatique dans le dispositif psychiatrique du 13e arrondissement de Paris. Santé Mentale au Québec 1993; XVIII (1): 1-17.
Torok M, Abraham N. L’écorce et le noyau. Paris: Flammarion poche, Champs essais; 1978.
Welsh G. Ce qui fait silence, approche psychiatrique de patients cambodgiens vivant à Paris, rescapés de la période khmère rouge. In: L’ange exterminateur. Bruxelles: Editions de l’Université de Bruxelles; 1994.
Welsh G. Silence in the aftermath. In: Violence or dialogue, psychoanalytic insights on terror and terrorism. Londres: Karnac IPA Publications; 2003.
Zempléni A. Du Symptôme au sacrifice. Histoire de Khady Fall. L’Homme 1974; 14 (2): 31-77.
Pour citer cet article :
Welsh G. Les fantômes au travail. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°3, pp. 276-283
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/les-fantomes-au-travail/
Les fantômes au travail
L’impossibilité du deuil et le commerce avec les fantômes chez un patient rescapé du génocide cambodgien montrent la complexité des relations entre morts et vivants en situation métaculturelle post génocidaire, ses conséquences sur la relation transféro-contretransférentielle et l’apport de l’anthropologie dans le travail clinique.
Mots clés : anthropologie, Cambodge, cas clinique, contre-transfert, deuil, ethnopsychiatrie, fantôme, génocide.
Ghosts in action
Based on a clinical observation, an impossible mourning and the relation with ghosts in a Cambodian patient shows both the complexity of the relation between the dead and the living ones in a metacultural situation after a genocide, its consequences on the transference and counter transference and the contribution of anthropology to the clinical work.
Keywords: anthropology, Cambodia, clinical case, countertransference, ethnopsychiatry, genocide, ghost, grief.
Fantasmas en acción
La imposibilidad de hacer el duelo y el trato con fantasmas en un paciente sobreviviente del genocidio camboyano muestran la complejidad de las relaciones entre los muertos y los vivos en una situación metacultural post-genocidio, sus consecuencias sobre la relación transferencia-contratransferencial y la contribución de la antropología al trabajo clínico.
Palabras claves: antropología, Camboya, caso clínico, contratransferencia, duelo, etnopsiquiatría, fantasma, genocidio.
La mort fait de nous tous des survivants. Nous survivons à ceux que nous avons perdus. Dans toutes les sociétés, les rituels funéraires permettent aux humains de faire de la mort un phénomène social, partagé. Selon les sociétés, la coupure peut être nette et définitive, assortie d’une prescription d’oubli, ou bien le dialogue et le contact se maintiennent dans une proximité quotidienne avec les défunts. Entre ces deux extrêmes, il existe de nombreuses variantes individuelles et collectives.
Pour questionner la communication entre morts et vivants, nous parlerons du deuil et des « fantômes », à partir du cas de Monsieur P, patient cambodgien, arrivé en France après avoir fui le régime khmer rouge (1975-1979). Chez lui, le silence concernant les défunts de sa famille morts pendant cette période contraste avec la communication qu’il a entretenue régulièrement depuis l’adolescence avec des « fantômes ».
Le deuil mis en question
Lorsqu’un deuil nous frappe, nous sommes profondément bouleversés et notre comportement est changé, mais « ce comportement nous semble non pathologique pour la seule raison que nous savons si bien l’expliquer. » (Freud, Deuil et mélancolie, 1917). « Deuil et mélancolie » reste la base de la réflexion sur le deuil pour les psychanalystes occidentaux. Considéré comme un phénomène individuel, intrapsychique, qui peut être normal ou pathologique, il consiste à détacher “détail après détail” tous les liens qui nous attachaient au défunt. Mais Freud souligne que cela ne se fait pas sans révolte : “Cette rébellion peut être si intense qu’on en vienne à se détourner de la réalité et à maintenir l’objet par une psychose hallucinatoire de désir. L’existence de l’objet perdu se poursuit psychiquement ». On trouve toutes sortes de fantômes dans les sociétés occidentales, dans la littérature comme dans les croyances populaires. Chez les Cambodgiens, l’expérience quotidienne, ordinaire de la présence des « esprits » m’a conduit à distinguer croyance plus ou moins reliée à une anomalie et expérience ordinaire.
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