Article de dossier
© Takeshi Kuboki annular solar eclipse annular solar eclipse, May. 21, 2012, Hyogo, Japan. Source (CC BY 2.0)
Co-construire une « communauté transitionnelle » avec les familles exilées
Publié dans : L’autre 2021, Vol. 22, n°1
Dossier : Accueillir les parents en exil
Céline ALLAFORT
Céline Allafort est éducatrice spécialisé au CADA d’Eysines.
Claire MESTRE
Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.
Agier, M. (2011). Le couloir des exilés. Être étranger dans un monde commun. Éditions du croquant.
Allafort, C., Sanca, R., Postolache, I., & Mantrach, Z. (2016). La parentalité à l’épreuve de l’exil: un groupe à médiation, multiculturel et pluridisciplinaire. Cliniques, 12(2), 158-175.
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Devereux, G. (1985). Ethnopsychanalyse complémentariste. Flammarion.
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Gioan, E., Mestre, C. (2016). L’atelier accueil du nouveau-né. Dans C. Mestre (dir.) Bébés d’ici, mères d’exil (pp. 215-226). Erès.
Hughes, E. (2015). Sauvage. Autrement.
Laplanche, J. (2007). Sexual: la sexualité élargie au sens freudien. P.U.F.
Laplantine, F. (2007). Ethnopsychiatrie psychanalytique. Beauchesne.
Mestre, C. (2016). Bébés d’ici, mères d’exil. Erès.
Métraux, J. C. (2011). La migration comme métaphore. La dispute.
Métraux, J. C. (2019). L’heure est peut-être arrivée de créer des «communautés transitionnelles». Revue du Mauss, 1(53), 323-339.
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Rochette, J. (2003). Le rituel, la mère et le bébé: un dispositif de soin en périnatalité, les groupes de présentation de bébés. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 40, 93-126.
Sanca, R., Allafort, C., Mantrach, Z., & Postolache, I. (2017). Accueil du nouveau-né au CADA d’Eysines: entre l’intimité de la langue maternelle et la socialisation dans la langue d’adoption. Quelle place pour l’interprète? L’Autre, cliniques, cultures et sociétés, 18(1), 103-109.
Vandentorren, S., Le Méner, E., Oppenhaim, N., et al. (2013). Characteristics and health of homeless families: the ENFAMS survey in the Paris region, France 2013. Eur J Public health, 26(1), 71-6.
Pour citer cet article :
Allafort C, Mestre C. Co-construire une « communauté transitionnelle » avec les familles exilées. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2021, volume 22, n°1, pp. 71-80
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/co-construire-une-communaute-transitionnelle-avec-les-familles-exilees/
Co-construire une «communauté transitionnelle» avec les familles exilées
Face aux effets délétères des carences de l’accueil sur la santé psychique des familles exilées, des professionnels du soin transculturel ont mis en œuvre des dispositifs aux frontières du soin et du social. Cet article présente l’un d’entre eux, des ateliers parentalité en CADA (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile). Il présente la méthodologie employée ainsi que les références théoriques, notamment l’utilisation des objets culturels et le «don de paroles précieuses». Ces ateliers leur ont permis de co-construire, avec les familles, de véritables «communautés transitionnelles». À partir d’une vignette clinique, les autrices montrent ces apports permettant aux familles de tisser des appartenances plurielles et aux enfants de reprendre un développement moteur, affectif et social parfois stoppé par les effets de déliaison d’un accueil indigne et déshumanisant associé aux traumatismes de l’exil.
Mots clés : demandeur d’asile, exilé, famille, migrant, parentalité, prise en charge, soin transculturel.
Co-construction of a “transitional community” with families in exile
In response to the deleterious effects of the lack of access to mental healthcare for families in exile, transcultural care professionals have developed specific health-care settings that provide both psychological and social support. This article presents one of them, taking the form of workshops on the subject of parenting conducted in an asylum seekers’ residence (CADA in French). It presents the methodology used and theoretical references, including the use of cultural objects and the “gift of precious words”. These workshops enable the care professionals to co-construct genuine “transitional communities” with the families. Using a clinical vignette, the authors show that these workshops contribute to enabling families to weave multiple affiliations, and enabling children to resume their motor, emotional and social development, which is sometimes hampered or halted by the loss of ties brought about by disrespectful and dehumanizing treatments accompanying the trauma of exile.
Keywords: asylum seekers, exile, family, migrant, parenthood, transcultural care, transcultural care provision.
Co-construir una “comunidad de transición” con familias exiliadas
Ante los efectos deletéreos de una acogida inadecuada sobre la salud mental de las familias exiliadas, los profesionales de la atención transcultural han implementado medidas situadas entre la atención en salud y la asistencia social. Este artículo presenta uno de ellos, los talleres de crianza en CADA (Centro de Recepción de Solicitantes de Asilo), y presenta la metodología empleada así como los referentes teóricos, en particular el uso de objetos culturales y el “don de preciosas palabras”. Estos talleres permitieron la co-construcción de verdaderas “comunidades de transición”. A partir de un caso clínico, los autores muestran estos aportes que permiten a las familias desarrollar afiliaciones plurales y a los niños retomar un desarrollo motor, emocional y social a veces interrumpido por los efectos desvinculantes de una acogida indigna y deshumanizante asociada al trauma del exilio.
Palabras claves: cuidado transcultural, exilio, familia, migrante, paternidad, seguimiento, solicitante de asilo.
Remerciements
Je dédie cet article à Liam et sa famille, ainsi qu’à tous les exilés si singuliers dont j’ai croisé la route au cours de mon travail et qui m’ont tellement appris. Sans eux, leur confiance, leurs rires, leurs larmes, leur curiosité et leurs questionnements, rien de tout cela n’aurait été possible.
Le travail de soin psychique mené auprès des migrants se déroule aujourd’hui dans un contexte d’accueil très contraint et conditionné, provoquant des situations de grande précarité matérielle, administrative et psychique. La dégradation de la santé psychique des exilés est liée aux violences subies avant l’exil et sur les trajets de plus en plus dangereux. Elle est renforcée par les conditions de vie précaires, ainsi que l’isolement relationnel et les discriminations qu’ils rencontrent dans le pays d’accueil1 (Vandentorren, 2016). Ce constat a amené les professionnelles du service de consultation transculturelle du CHU de Bordeaux à inventer d’autres dispositifs de prévention, en complémentarité du soin psychique. Pour amenuiser le risque de souffrance psychique dans cette population, le choix a été fait d’agir aussi sur les facteurs environnementaux, en luttant contre l’isolement et en favorisant un meilleur accès aux droits fondamentaux (Mestre et al., 2016). Elles ont ainsi décidé de créer un dispositif associatif2, permettant de penser et de construire des actions en lien avec la clinique, dans le respect de la diversité et dans un esprit pluridisciplinaire. Cette méthodologie articule le niveau individuel et la dimension collective (Devereux, 1985 ; Laplantine, 2007), utilise la culture, celle des exilés comme celle des professionnelles, comme vecteur des actions, cette dernière étant pensée comme sans cesse se transformant et se métissant.
L’un de ces dispositifs, des ateliers parentalité pour les jeunes enfants et leurs parents, a été expérimenté pendant trois ans dans un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) de la métropole bordelaise3 (Sanca et al., 2017 ; Allafort et al., 2016). Ces ateliers ont été minutieusement pensés4. Ils illustrent la nécessité de l’existence de lieux transitionnels pluridisciplinaires et ont été expérimentés en premier au sein de la consultation transculturelle pour les mères et leur bébé (Gioan & Mestre, 2016).
Comment se constitue ce que nous nommerons, à l’instar de Jean-Claude Métraux (2019, p. 334), une « communauté transitionnelle », co-construite à partir de nos références théorico-cliniques et des éléments culturels divers, ceux des parents demandeurs d’asile et les nôtres ?
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- Tortelli, A. (2019, juin 8). La majorité des troubles psychiatriques sont liés aux conditions de vie dans le pays d’accueil. De facto. https://icmigrations.fr/2019/06/13/defacto-8-002/
- Il s’agit de l’association Ethnotopies.
- Roxana Sanca et Arzina Nuno, psychologues, Zineb Mantrach, psychomotricienne, Irina Postolache, Zakia Ahmed et Rokhaya Seck Skender, anthropologues, ont participé à cette expérience avec Céline Allafort.
- D’abord imaginés pour soutenir l’établissement des premiers liens des mères exilées avec leurs nouveau-nés, ils ont ensuite été développés, à la demande des familles, pour les enfants « marcheurs » avant la scolarisation.