Of Men and War (Des hommes et de la guerre)

Film documentaire de Laurent Bécue Renard


Brigitte MOÏSE-DURAND

Brigitte MOÏSE-DURAND est pédopsychiatre, psychanalyste membre de la société de Psychanalyse de Paris, co-thérapeute à la consultation transculturelle de la Maison des adolescents de Cochin.

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https://revuelautre.com/lire-voir-ecouter/film/of-men-and-war-des-hommes-et-de-la-guerre-un-film-documentaire-de-laurent-becue-renard/

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Déjà connu pour « De guerre lasses » où il retraçait le travail de deuil entrepris en thérapie par des jeunes veuves de combattants de la guerre en Bosnie, Laurent Bécue-Renard filme ici le quotidien de douze jeunes soldats américains de retour du front, dans un centre de prise en charge pour anciens combattants puis au sein de leur vie de famille.

Après avoir donné la parole aux femmes pour témoigner des souffrances causées par la guerre, le réalisateur nous montre ici les cicatrices directes laissées par elle, sur les hommes, ceux qui ont combattu.

Ces jeunes revenus sains et saufs des guerres d’Irak ou d’Afghanistan souffrent comme plus des milliers de vétérans de ces guerre récentes du Syndrome de Stress Post Traumatique ou « PTSD ». De 2008 a 2013, le réalisateur a suivi Justin, Kacy, Trevor ou Steve, dans leur intimité. Hantés par les réminiscences de la guerre, consumés de colère et de haine, ils essaient de lutter (avec violence parfois) contre cette violence qui les submerge, pour oublier, pour vivre tout simplement.

Of Men and War de Laurent Bécue RenardOn essaie de s’entraider entre anciens combattants, entre conjoints, entre parents et enfants. Mais l’ennemi invisible, interne, peut surgir à tout moment, et n’épargne ni la personne propre, ni la famille, ni la femme ni même les enfants. La lutte contre la destructivité est harassante, ne permettant aucun répit. L’amour conjugal, parental ou filial n’a plus de sens, l’amitié non plus. La tentation de baisser les bras est grande, et parfois on y succombe, comme l’un des douze protagonistes du film.

Mais parfois aussi, une parole d’enfant peut redonner espoir, nous laissant entendre qu’une rédemption est peut être possible. Alors les rôles sont intervertis, et on ne sait plus qui que l’enfant ou du père est le guide de l’autre. La plupart des scènes sont filmées au Patway Home, un centre de prise de charge des traumatismes de guerre, dirigé par un thérapeute inclassable, lui-même vétéran du Vietnam, Ces jeunes soldats y bénéficient de séances de thérapies pour trouver ensemble par petits groupes des mots et des remèdes pour (se) pardonner et se réconcilier avec eux-mêmes, avec les autres.

Bien sûr, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur les théories et méthodes qui sous-tendent ces séances de thérapie de groupe. Mais ce n’est pas le propos du film. Ici, des hommes terrorisés (ré) apprennent à vivre comme des enfants qui apprennent à parler, en essayant de mettre en lien des mots épars, pour faire des phrases compréhensibles à partir des restes exposés, éparpillés par les violences subies ou provoquées.

Même quand certains semblent retrouver un peu de sens à leur vie, rien n’est jamais complètement acquis : l’humilité et la prudence s’imposent. La force du film vient du fait que Laurent Bécue-Renard n’interprète pas, mais nous montre dans l’intimité du quotidien, l´impuissance, la peur et les limites de la nature humaine.

Nous sommes ici sur une ligne de crête flirtant entre le langage « scientifique » et ennuyeux des classifications psychiatriques (DSM), la psychanalyse toute puissante et le pathos militant. Laurent Bécue-Renard, petit-fils de soldats français, puise dans ses réminiscences d’enfance pour filmer sans juger ces fragments de vie éclatés. Son film sonne juste et nous incite à réfléchir sur la transmission inter générationnelle des traumatismes laissés par la guerre, mais aussi et surtout sur les possibilités de les transcender.