Éditorial

© Noborder Network, getting on a truck… Children try to hide in a truck headed for Spain in the port of Tangier July 11, 2007. Source (CC BY 2.0)

L’accueil difficile des immigrés en Espagne aujourd’hui : « C’est de leur faute ! »

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Ana Caravaca MUÑOZ

Sophie MALEY

Sophie Maley est en formation de psychothérapeute, co-thérapeute, Maison des adolescents de Cochin à la consultation transculturelle, Paris.

Marie Rose MORO

Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

Pour citer cet article :

Munoz AC, Maley S, Moro MR. L’accueil difficile des immigrés en Espagne aujourd’hui : « C’est de leur faute ! ». L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2014, volume 15, n°2, pp. 133-135


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/editoriaux/laccueil-difficile-des-immigres-en-espagne-aujourdhui-cest-de-leur-faute/

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Historiquement, l’Espagne a toujours été un pays de migrants. Tout au long du XXe siècle, voulant échapper aux situations difficiles auxquelles ce pays a été confronté, bon nombre d’Espagnols ont dû migrer, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis ou en France par exemple, surtout après la guerre civile. Ils partaient souvent à la recherche de liberté et de dignité et toujours de travail. Dans la plupart des cas, ils ont réussi à se faire une place à l’étranger malgré quelques difficultés à s’inscrire dans ces pays d’adoption et leurs enfants sont devenus des citoyens de ces nations. La plupart des pays qui ont accueilli les migrants d’Espagne ont bien accepté leur diversité, leur culture et leur religion. Cette diaspora constitue, encore aujourd’hui en Espagne, un facteur d’enrichissement et d’ouverture.

On peut reconnaître aussi que ce qu’on appelle aujourd’hui « la culture espagnole », c’est-à-dire les caractéristiques qui nous différencient d’autres cultures, n’est qu’un mélange de représentations et d’emprunts. Depuis le tout début de son histoire, l’Espagne a reçu et accueilli différentes civilisations. C’est ce qui a donné une très grande richesse à ce pays, comme tant d’autres, et a participé à créer, ce qu’on défini aujourd’hui comme notre « culture ». La civilisation fennique puis italique ou encore la civilisation arabe et occitane, toutes ces cultures ont fait de l’Espagne un pays riche de différences cohabitant sur un même territoire. On y trouve donc une diversité linguistique (le catalan, le basque, le galicien, le castillan…), différents types de produits, de nourritures et de cuisines mais aussi de rites et des costumes variés. L’Espagne est donc à la fois un pays de métissages et d’immigration, un pays qui après s’être constitué d’apports multiples et en avoir fait de belles synthèses comme en Andalousie ou aux Baléares par exemple, a envoyé dans le monde entier des migrants à la recherche de l’Eldorado et des pièces de monnaie qu’il suffisait de se baisser pour ramasser. C’est ainsi que j’entendais1 parler les immigrés espagnols dans le nord est de la France quand j’étais enfant : « Ceux qui sont restés au pays pensent qu’ici l’argent est à portée de mains ! » disaient-ils avec un rire amer après de longues journées de labeur.

Ces dernières années, nous avons assisté à un nouveau phénomène : celui de l’immigration accueillie par l’Espagne. Le rétablissement de la démocratie après des années d’un régime dictatorial, la présence forte de l’Espagne dans la Communauté Européenne, tout comme sa situation géographique mais aussi le développement assez rapide de son économie et de son industrie – notamment dans les années 70/80- sont des facteurs qui ont favorisé la venue d’un très grand nombre d’immigrés, en peu de temps. Ils viennent le plus souvent d’Afrique par la proximité géographique et d’Amérique du Sud (par une proximité linguistique et culturelle résultant d’un passé colonial proche, permettant une intégration plus aisée).

Des années 90, jusque dans les années 2000, l’Espagne a donc fait face à un fort mouvement migratoire et elle est devenue un des pays ayant accueilli un des plus grand nombre d’immigrés sur son sol avec un taux de 12,1 % d’habitants2 venant d’ailleurs.

En 2011, pour la première fois depuis bien des années, l’Espagne a commencé à expérimenter un mouvement migratoire total négatif, c’est – à-dire qu’il y a désormais, plus d’Espagnols qui quittent l’Espagne que d’immigrés qui arrivent. Les pays du Sud de l’Europe, c’est-à-dire La Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne ont été touchés de plein fouet par ce qu’il est commun d’appeler « la crise économique mondiale ». Provenant en premier des Etats-Unis, cette crise a affecté très profondément toute l’Europe (surtout les pays intégrés dans le système « euro »). Fortement touchée par cette crise économique, l’Espagne a radicalement modifié sa politique sociale. Le gouvernement espagnol a supprimé de nombreux droits sociaux laissant ainsi beaucoup de familles espagnoles issues des classes moyennes en situation de pauvreté. C’est pour cela que beaucoup de jeunes diplômés espagnols ont décidé de partir ailleurs, à la recherche de travail, comme leurs parents et surtout leurs grands parents l’ont fait avant eux.

Mais la crise économique espagnole n’a pas affecté que les Espagnols, elle touche aussi les immigrés vivant en Espagne depuis longtemps, tout comme ceux récemment arrivés. L’accroissement du chômage touchant l’ensemble de la population active fait que les opportunités de travail pour la population migrante ont régressé. Cette situation de crise et de précarité soulève des réactions de rejet. Aujourd’hui, Il n’est pas rare d’entendre des Espagnols se plaindre de ne pas pouvoir occuper des emplois que des migrants occupent parfois même depuis longtemps. Des postes que les Espagnols n’ont pas voulu occuper dans les années de prospérité. On perçoit le racisme qui guette. Même si il existe des cas de racisme parfois violent, par exemple, à l’Ejido, dans la province Almería, où de nombreux migrants venants de l’Afrique résident et peuvent faire l’objet de persécution ou de discrimination, la plupart du temps, il s’agit d’un racisme caché, non-dit. C’est plus le fruit de réactions individuelles que collectives. Cependant, cela se ressent notamment en observant la séparation qu’il existe entre les migrants et la population espagnole. Ainsi les migrants vivent souvent dans ce qu’on appelle des « ghettos », et souvent dans des situations plus ou moins précaires avec peu de ressources. La crise économique qui touche l’Espagne, les difficultés que rencontrent désormais les Espagnols permettent à certains de clamer que face à l’insuffisance des ressources pour tous (alimentation, travail, couverture sanitaire), les migrants doivent retourner dans leurs pays, de manière à ce que les Espagnols puissent profiter de ce qui reste. Mais même si ces réactions sont fortes et insupportables, il est à noter que le sujet de l’immigration ne constitue pas en Espagne un sujet politique majeur et n’est pas, comme en France, objet de réactions fantasmatiques et idéologiques fortes qui traversent presque tous les partis politiques.

En ce qui concerne la question du droit à la santé pour tous, il est bon de rappeler que des mesures ont été prises et que ce droit est de plus en plus restreint, notamment dans beaucoup de régions espagnoles. La justification de ces restrictions s’appuie sur le fait que la crise oblige à des mesures d’économie importantes. Cela concerne notamment les immigrés arrivés après 2012 et n’ayant pas obtenu de permis de résidence.

En fait, il semble que d’où qu’ils viennent, les immigrés, soient en ce moment ceux sur lesquels se focalise toute la culpabilité de la crise, ceux sur lesquels sont projetées toutes les idées négatives liées aux difficultés du quotidien. Le paradoxe étant qu’ailleurs dans le monde, les nouveaux migrants espagnols sont, quant à eux, généralement bien reçus. Même en Amérique du Sud alors que de nombreux sud-américains sont montrés du doigt et culpabilisés en Espagne.

C’est pour tout cela qu’une réflexion importante et profonde sur ces questions s’impose. Peut-être que l’Espagne n’est pas un pays « de mains et de bras ouverts ». C’est d’ailleurs ce que pensent beaucoup d’immigrés qui sont venus sur cette terre et qui maintenant sont en train de la fuir à cause de ces difficultés. Nous sommes dans un phénomène de mondialisation, mais aussi un monde qui offre des opportunités d’intégration, de métissage et d’enrichissement mutuel.

Espérons que l’Espagne arrive un jour à remettre tous ces éléments en jeu, pour le bien commun.

  1. Il s’agit de Marie Rose Moro qui a grandit dans une communauté espagnole en France.
  2. Il est plus élevé qu’en France actuellement où ce taux est de 11 %.