Dossier

© Etsuko Watanabé Source

Les mondes de la nuit

Coordonné par 

Consulter le dossier complet en ligne :  15,00  TTC Ajouter au panier

La nuit est l’espace du rêve. Non pas double négatif du jour, elle est aussi peuplée que lui, d’êtres invisibles à l’état de veille. Également active, productive, on dit même qu’elle porte conseil. Souvent moment essentiel de l’élaboration, de reprise et de transformation des épisodes de la veille, elle est en même temps lieu de crainte ou d’effroi, d’enkystement traumatique.

Pour que la nuit féconde le jour, il faut alors recourir à des spécialistes et à des techniques qui capturent rêves et cauchemars, leurs font dire leurs secrets, placent leurs sombres pouvoirs au service de ceux qu’ils hantent. Psychanalystes, chamans, devins, chacun dans son univers et avec sa méthode, de manière parallèle dans bien des cas, parfois aussi dans la convergence, mettent, non sans quelques périls, les rêves à la question.

Après le dossier « Rêves, Songes, Présages », paru dans L’autre l’année dernière, celui-ci nous réserve encore bien des surprises. A chaque culture, à chaque « vision du monde », correspond un monde de rêves…

Guy Lesœurs nous introduit au cœur d’une tradition séculaire chez les Améridiens du Nord, à savoir la tradition d’un objet « attrape-rêve » rappelant la figure d’une « mère-araignée » et qui capture dans ses filets les cauchemars qui viendraient perturber le rêveur, alors qu’elle laisse advenir jusqu’à lui les « bons rêves ».

La recherche de Marie-Odile Godard nous emmène au Rwanda, où les rêves que nous appelons traumatiques et que nous expliquons en termes de pulsion de mort et d’automatisme de répétition sont vécus comme autant de retours dans les cauchemars, des Abazimu, des parents morts sans sépulture.

Croisant les regards de la psychanalyse et de l’anthropologie, l’article d’Aïcha Lkhadir et Claire Mestre nous introduit à cette clinique passionnante qu’est la clinique transculturelle : le rêve, plus encore que partout ailleurs, y prend une valeur incomparable. Soulignons d’autre part la richesse des données culturelles recueillies au cours des séances : on voit que l’abord psychothérapeutique nous permet de pénétrer dans l’intimité d’une rêveuse marocaine comme peu d’anthropologues, sans doute, ont l’occasion de leur faire sur leur « terrain » d’exploration ethnographique.

Éminent spécialiste du rêve, qu’il a beaucoup étudié chez les Indiens d’Amérique (notamment les Guajiro du Vénézuéla et de Colombie), Michel Perrin nous livre ici une réflexion indispensable pour la rencontre ethnopsychiatrique. Il lui apparaît essentiel que le psychanalyste s’efforce dans un premier temps de connaître le codage culturel des rêves et la vision du monde de son patient. Mais il ne doit pas abandonner pour autant les exigences propres à son métier : l’usage des associations libres, l’interprétation des refoulements, etc… Sans cela, il risquerait de réduire son intervention à celle d’un « demandeur de rêves » plus ou moins intrusif et qui ne ferait que créer son propre objet d’étude, dans la relation très particulière qu’il établit avec son informateur.

Quant à Marie-Christine Lammers, elle nous emmène dans l’arrière-cour d’un guérisseur traditionnel de Douala, au Cameroun. A travers les bribes des conversations qu’elle y a entendues, elle intègre les images des rêves et des cauchemars dans la cosmologie traditionnelle doualaise, qui est toujours bien vivante, malgré la « modernisation » du pays. Pour preuve, le rituel de « blindage » au bord du fleuve, auquel elle nous convie, juste en face du complexe industriel de la ville…