Brèves

© Majd Mohabek العلم في ساحة الجامعةSource (CC BY 2.0)

Syrie 2018, chroniques de Maryvonne Bargues

Le fil des poèmes


Maryvonne BARGUES

Maryvonne BARGUES est psychiatre et travaille depuis plusieurs années avec Médecins Sans Frontières, 8 rue Saint-Sabin, 75011 Paris. Elle a réalisé de nombreuses missions dans différents pays. Du terrain, elle fait profiter proches et collègues de fragments des carnets qu’elle tient régulièrement.

Pour citer cet article :


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/blog/syrie-2018/

Mots clés :

Keywords:

Palabras claves:

Maryvonne Bargues est psychiatre pour plusieurs organisations humanitaires. Elle a participé à de nombreuses missions dans différents pays en guerre. À chaque mission où elle vient en aide aux populations, par ses témoignages et écrits, elle rend compte de ce qu’elle observe et de ce que lui confient ses patients.
Actuellement sur le terrain en Syrie, elle nous fait parvenir des textes que nous partageons avec vous au fur et à mesure.

 


 

Nihad avait une femme et trois enfants. Une frappe aérienne d’un démoniaque agent de guerre bombarde sa maison, elle est réduite en cendre. Sa femme et ses enfants sont tués sous les décombres. C’était il y a quelques mois à Raqua. Aujourd’hui Nihad est un homme seul, seul, immobile sous une tente au milieu de milliers de tentes agglutinées dans le camp d’Ain Issa.

Seul, il veut le rester, être seul s’impose comme une nécessité absolue, Nihad ne tolère aucun échange. Il est avec lui-même.

Il acceptera que je franchisse le seuil de son monde apparemment dénué de tout signe de vie.

Assis, le regard au loin, il se montre comme dans un acte réflexe, accueillant.

Entre nous, des silences. quelques mots. des silences… Le temps est suspendu. Puis un dire “j’écris, j’essaie de transformer mes cauchemars en poèmes pour qu’ils deviennent comme des rêves, c’est mon âme morte seule qui parle”.

Un cahier écrit en entier est à coté de lui, il le tient serré dans sa main.

Nihad a déposé son “âme morte” dans un cercueil qu’il imagine dans une belle terre ocre. il lui dévolue le pouvoir, d’exorciser les décombres, les gravats qui ont enseveli les corps de sa famille et de bien d’autres, les effets des machines de guerre sont annulés. son “âme morte” a le pouvoir de purifier le monde.

Son âme dans son cercueil traverse des siècles à sa guise distillant un imaginaire dénué de cruautés, tentant de prendre place pour chasser ce Réel que l’on sait privé de mots. Elle devient le fil qui le maintient en vie, un souffle sublimé…

Ce mince fil de vie, enjolivé de poésie est fragile, il le sait.

Je le laisse à sa solitude.
Ses écrits en point d’appui.
Est advenue l’envie de les partager
On se donne rendez vous.

Maryvonne Bargues,
Syrie mars 2018