Article de dossier

© Josep Bracons, Barcelona Source (CC BY-SA 2.0)

Les limites de l’empathie : construction du mal et victimaires


Christian LACHAL

Christian Lachal est Psychiatre, pédopsychiatre et psychanalyste à Clermont-Ferrand, Ex-consultant International pour MSF, Chargé de cours à l'Université de Paris XIII, attaché à l'Hôpital Avicenne, Bobigny, membre du comité de rédaction de la revue L'autre.

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Pour citer cet article :

Lachal C. Les limites de l’empathie : construction du mal et victimaires. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2016, volume 17, n°2, PP. 149-158

DOI : 10.3917/lautr.050.0149

Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/les-limites-de-lempathie-construction-du-mal-et-victimaires/

Les limites de l’empathie : Construction du mal et comportements victimaires

Nous commencerons par questionner les termes principaux de notre propos: le bourreau, les lois et leur rapport au juste et à la coutume. Mais aussi comment une société peut basculer vers le mal à partir d’une altération d’une seule de ses fonctions: l’appartenance. Les exécuteurs deviennent alors légitimés, ils répondent à un nouveau cadre légal dans lequel le meurtre est ‘moral’. Ce processus préparatoire fabrique des hommes qui peuvent justifier leurs actes, les juger comme un travail indispensable. Cela ne les préserve pas du risque d’empathie devant certaines de leurs victimes, d’une excitation, brutalisation produites par leurs actions, ce qui les amènent à la cruauté et à une forme de mélancolie honteuse: le secret du bourreau.

Un exemple clinique nous permet de souligner les risques liés à une trop forte adhésion au statut de victime du patient et de faire émerger l’image du victimaire.

Mots clés : alliance thérapeutique, Arendt Hanna, bourreau, crime, empathie, guerre, mal, traumatisme psychique, victime.

The limits of Empathy: Building evil and wrong doer behavior

We begin by questioning the main terms of our subject: the executioner, the laws and their relationship with the sense of justice and to customs. But also how a society can fall towards evil from a change of the only one of its functions: the feeling of belonging. The executioners then become legitimate; they respond to a new legal frame in which the murder is ‘moral’. This preparatory process makes people who can justify their acts and can be judged as doing essential work. It does not protect them from the risk of empathy in front of some of their victims, from the excitement, and the brutalization produced by their actions, bringing them to cruelty and to a kind of shameful melancholy: that is the secret of the executioner.

A clinical example allows us to underline the risks bound to a too strong support in victim’s status of the patient while bringing to the foreground the important role of the wrong doer behavior.

Keywords: crime, empathy, evil, executioners, Hanna Arendt, psychological trauma, therapeutic alliance, victims, war.

Los límites de la empatía: construcción del mal y comportamientos victimarios

Comenzaremos por un cuestionamiento de los temas principales de nuestro argumento: el verdugo, las leyes y su relación a lo justo y a las costumbres. También hablaremos de cómo una sociedad puede virar hacia el mal a partir de una alteración de una sola de sus funciones: el sentido de pertenencia. Los ejecutores se vuelven legítimos ya que responden a un nuevo contexto legal en el que el asesinato es “moral”. Este proceso preparatorio fabrica hombres que pueden justificar sus actos, calificándolos de indispensables. Esto no los preserva del riesgo de empatía respecto de algunas de sus víctimas, de una excitación y de una brutalización producidas por sus acciones, lo que conlleva a la crueldad y a una forma de melancolía vergonzante: el secreto del verdugo. Un ejemplo clínico nos permite recalcar los riesgos asociados a una adhesión demasiado importante al estatus de víctima del paciente y al hecho de provocar la emergencia de la imagen del victimario.

Palabras claves: alianza terapéutica, crimen, empatía, guerra, Hanna Arendt, mal, traumatismo psíquico, verdugo, víctima.

En tant que clinicien, il nous faut documenter nos propres limites dans les relations avec certains patients dans une clinique des situations extrêmes où, au-delà des représentations de la victime viennent celles du bourreau, au-delà des traumatismes subis viennent les transgressions agies. Quelque chose vient menacer l’alliance entre le thérapeute et son patient : un clivage entre le jugement que porte le clinicien sur les actes réels de son patient et l’éventail de ses réactions contre-transférentielles. Dans ces circonstances, selon, « notre déontologie de l’objectivité scientifique en sciences humaines ne nous installe pas à une même distance de l’assassin et de la victime, mais entièrement du côté de la victime, qui seule, lorsqu’elle survit, veut comprendre le bourreau. L’inverse n’est jamais vrai, et cette volonté de méconnaissance, de défiguration de l’autre, que l’assassin arbore, est une des conditions de son crime. » Nahoum-Grappe (1995). Est-il juste de s’occuper des bourreaux, de les soigner et, si cela se fait, à quelle distance du bourreau, sous quel angle faut-il l’écouter pour le comprendre dans la mesure où nous ne pouvons-nous mettre « à ses côtés » et que nous maintenons cette nécessité morale de nous mettre du côté du juste ?

Rappelons quelques définitions et lois encadrant ses crimes avant d’aborder l’épaisseur de la rencontre clinique avec lui.

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