Article de dossier

© John Flannery, Senegal, 23 février 2014. Source (CC BY-SA 2.0)

« Faire du genre » au Sénégal

Retour critique sur une intervention humanitaire

et


Halima DIALLO

Halima Diallo est doctorante en psychologie (UTRPP) à l’université Paris 13 sous la direction de Pascale Molinier. Sa thèse s’intitule « Les femmes de pouvoir au Sénégal » ; elle décrit et analyse le vécu des femmes Sénégalaises qui se sont imposées dans des carrières dirigeantes et qui ne se sont pas demandées si « elles devaient » ou si elles ne « devaient pas » faire telle ou telle chose parce qu’elles étaient des femmes, bien qu’elles vivent dans une société où les rôles et les fonctions sont très marqués et sexués.

Pascale MOLINIER

Pascale Molinier est professeure de psychologie sociale, Directrice de l'UTRPP, Paris 13, Directrice adjointe du GIS-CNRS Institut du Genre et Directrice de publication des Cahiers du genre. Pascale Molinier travaille sur les rapports entre santé, travail, genre et sexualité. Elle est l’auteur de L’énigme de la femme active (Payot, 2003), Les enjeux psychiques du travail (Payot, 2006), Le travail du care (La Dispute, 2013).

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Pour citer cet article :

Diallo H, Molinier P. « Faire du genre » au Sénégal. Retour critique sur une intervention humanitaire. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2017, volume 18, n°1, pp. 57-66


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/faire-genre-senegal/

«Faire du genre» au Sénégal. Retour critique sur une intervention humanitaire

Problématique : cet article interroge la construction d’une action humanitaire Nord/Sud qui s’est donné pour mission de résorber des inégalités persistantes entre les femmes et les hommes en milieu rural au Sénégal. Les enfants d’une école primaire mixte ont été les cibles de cette action « genre » pensée par des experts occidentaux et mise en œuvre par des intervenants sénégalais urbains. Pour quelle transformation effective ? Au profit de qui ? Cet article met en exergue des oppositions sociologiques binaires du type « Nord – Sud », « urbains-ruraux », « assujettissement-émancipation », « résistance-passivité », « dominant-dominé ».

Méthode : l’observation participante en tant qu’experte « genre » a permis de comprendre comment, par le biais de focus groupe et de théâtres populaires, les intervenus ont été formés et sensibilisés à la question du genre, puis pendant neuf mois, comment ont été mis en pratique les réflexes «genre » qui invitent à ne plus tenir compte de la frontière du masculin/féminin. Le travail domestique a ainsi fait l’objet d’une nouvelle éducation plus égalitaire afin d’impulser chez les enfants des rapports de genre plus démocratiques.

Résultats : les experts du projet, soutenus par le personnel éducatif, souhaitent que les enfants fassent passer le message de l’égalité dans l’espace privé auprès de leurs parents. Toutefois, les bénéficiaires du projet n’ont pas été consultés. Aussi la construction de ce dispositif, à l’instar de beaucoup d’actions « genre » mainstream, nie aux acteurs et actrices africaines la possibilité qu’ils et elles se conçoivent et se conceptualisent autrement qu’en rapport avec le monde globalisé. Le Nord exporte sa façon de penser à un Sud pauvre, à l’image de la fameuse « mission civilisatrice » pendant la période coloniale. Le genre devient un instrument au service du « développement » sur le modèle/ou au service de l’Occident. De plus, en intervenant auprès des enfants, cette action genre contribue à dénigrer leurs parents et leur éducation.

Mots clés : aide humanitaire, école, éducation, égalité homme femme, étude critique, genre, identité sexuée, milieu rural, pays en voie de développement, relation homme femme, Sénégal, société traditionnelle.

«Make gender» in Senegal. Critical feedback on a humanitarian intervention

Issue: This article questions the building of a North/South humanitarian aid action with the task of resolving persistent inequalities between men and women in a rural area in Senegal. Children from a mixed sex primary school were the focus of this “gender” action conceived by Western experts and implemented by urban Senegalese participants. For what effective transformation ? For the benefit of whom ? This article highlights binary sociological oppositions like North-South, urban-rural, subjugation-emancipation, resistance-passivity, dominant-dominated.

Method: Participant observation as a «gender» expert enabled understanding, using a focus group and popular theater, how the participants were trained and how they became aware of the issue of gender. Then over a period of 9 months, the question of how «gender» reflexes were set up to urge not taking into account the male /female barriers. More egalitarian education was provided regarding housework in view of pushing children to having more democratic gender relations.

Results: Project experts with the support of the education staff, wish that the children pass the message of equality in their private home area with their parents. The beneficiaries of this project were however not consulted. Also, building this procedure on the model of many mainstream «gender» actions stops African players the possibility of conceiving and conceptualizing in a manner contrary to the globalized world. The North exports its manner of thinking to the poor South following the line of a «civilizing mission» during the colonial period. Gender becomes an instrument serving «development» based on the model or serving the West. In addition, intervening with children with this gender action can contribute to belittling the children’s parents and their education.

Keywords: critical study, developing countries, education, gender, humanitarian aid, male female equality, male female relations, rural area, school, Senegal, sexual identity, traditional society.

“Hacer género” en Senegal. Crítica de una intervención humanitaria

Problemática: Este artículo se interroga sobre la construcción de una acción humanitaria Norte/Sur que tenía como misión disminuir las desigualdades persistentes entre hombres y mujeres en zonas rurales de Senegal. Los niños de una escuela primaria mixta fueron el público escogido de esta acción de “género” pensada por expertos occidentales y puesta en marcha por personal senegalés proveniente de zonas urbanas. Cuál era la transformación efectiva esperada?, a beneficio de quién? Este artículo evidencia algunas oposiciones binarias de tipo “Norte-Sur”, “urbano-rural”, “sumisión-emancipación”, “resistencia-pasividad”, “dominante-dominado”.

Método: La observación participativa como experta de “género” hizo comprensible la formación y la sensibilización de los sujetos de la intervención en cuestiones de género. Esta sensibilización se realizó a través de grupos de grupos focales y teatro popular. También se analizó la puesta en práctica de los reflejos de “género” adquiridos que pretendían no volver a tomar en cuenta la frontera masculino-femenino. El trabajo doméstico fue también objeto de una nueva educación más igualitaria con el fin de promover en los niños relaciones de género más democráticas.

Resultados: Los expertos del proyecto, apoyados por el personal educativo, querían que los niños transmitieran el mensaje de igualdad en sus familias. Sin embargo los beneficiarios del proyecto no fueron consultados. La construcción de este dispositivo, como muchas otras acciones de “género” convencionales, niega a los protagonistas africanos la posibilidad que ellos mismos se conciban y se conceptualicen de una manera diferente a la perspectiva de la globalización. El Norte exporta su pensamiento a un Sur pobre, a la imagen de la famosa “misión civilizadora” durante la colonia. El género se vuelve un instrumento al servicio del desarrollo sobre el modelo o al servicio de Occidente. Además del riesgo de denigrar la educación de los padres cuando se interviene de esta manera una comunidad de niños.

Palabras claves: ayuda humanitaria, educación, escuela, estudio crítico, género, identidad sexual, igualdad hombre-mujer, país en vía de desarrollo, relación hombre-mujer, Senegal, sociedad tradicional, zona rural.

On ne peut pas continuer d’être à la remorque des rêves des autres.
Felwine Sarr

Cet article questionne la démarche de « faire du genre » telle qu’on l’appelle au Sénégal pour reprendre un langage banalisé (Sow 2001) qui désigne une manière de passer à l’action et d’expérimenter le genre dans des missions ethnographiques.

A la fin des années 1990, le « gender mainstreaming » ou « approche intégrée de l’égalité » (Dauphin & al. 2008) a été présenté par les institutions politiques et administratives, en charge des droits des femmes, comme une nouvelle approche de l’égalité des sexes. Mais plus qu’un programme d’action pour l’égalité, le genre est pensé comme une stratégie de développement durable (Rist 1996). Cet article discute de la mise en œuvre du « gender mainstreaming » à travers l’exemple d’une intervention humanitaire dont l’objectif est large. Il s’agit de jouer sur la construction sociale des identités masculines ou féminines et sur les tâches, les rôles, fonctions qui sont attribués à chacun dans la vie publique et privée en lien avec ces identités de genre et les valeurs qui les irriguent (Jacquot 2006).

Dans le cas qui nous intéresse, « faire du genre » est adressée aux enfants d’une école primaire mixte à Kakoti1, un village du Sénégal2. Le genre étant un concept importé de l’Occident, comment a-t-il été accommodé dans un contexte socio-culturel différent ? Est-il source d’émancipation ou produit-il des résistances ?

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  1. Le nom du village a été changé.
  2. Halima Diallo a contribué à cette action « genre » en 2014.

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