Article de dossier

© Dominique Rolland, "effigie de la difunta Correa dans un oratoire de montagne" Source D.G.

En Argentine, des saints au bord des chemins

Difunta Correa, Gauchito Gil et San La Muerte


Dominique ROLLAND

Dominique Rolland est enseignant-chercheur à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, 2 rue de Lille, 75343 Paris cedex 07.

Amarilla R, editor. Bandoleros rurales correntinos, simposio organisado por la subsegreteria de cultura de la provincia de Corrientes. Ediciones Al Margen; 1995.

Borelli M, Isidoro J. Un rasgo indicador de la cultura del nordeste: San La Muerte. Suplemento Antropológico (Asunción, Universidad Católica) 1977; 12 (1-2): 45-148.

Brozzi A. Gauchito Gil. Corrientes: Brochure à compte d’auteur; non datée.

Capara MA. Postales rotas de un America profunda. La espalda, n° 2 ministerio de educacion y cultura, provincia de Corrientes.

Insaurralde G. El cuerpo como metafora de fe. La espalda, n° 2 ministerio de educacion y cultura, provincia de Corrientes.

Maldonado G. San La Muerte. Colleccion Sarava, non daté.

Muratori LA. Relation des missions du Paraguay. Paris: La Découverte/Maspero; 1983.

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Pour citer cet article :

Rolland D. En Argentine, des saints au bord des chemins. Difunta Correa, Gauchito Gil et San La Muerte. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2012, volume 13, n°1, pp. 51-60


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/en-argentine-des-saints-au-bord-des-chemins/

En Argentine, des saints au bord des chemins : Difunta Correa, Gauchito Gil et San La Muerte

Dans les provinces d’Argentine, la ferveur populaire s’adresse à des saints de proximité, généralement des gens du peuple sanctifiés parce que décédés de façon injuste, violente et prématurée. Il s’agit souvent de gauchos bandits d’honneur assassinés, mais aussi de femmes du peuple, mères exemplaires et dévouées, et parfois d’emprunts à des croyances autochtones guarani. Leurs morts tragiques les placent, pense-t-on, en position d’intercesseurs pour transmettre efficacement les prières des personnes en difficulté. Leur popularité croissante s’explique par une situation économique aggravée et le sentiment que les élites, comme les pouvoirs publics sont indifférents ou cyniques face à la misère du peuple. Ces saints populaires sont perçus comme plus accessibles et plus fraternels. Sur le plan religieux, ces cultes, étudiés dans la région nord-est, sont traversés par des influences multiples : culture autochtone guarani, héritage catholique des missions jésuites de la région, apports afro-brésiliens de l’État proche du Paraná. Trois exemples sont présentés ici : la Difunta Correa, le Gauchito Gil et San La Muerte.

Mots clés : Argentine, croyance, lieu de culte, religion, saint, société, syncrétisme.

In Argentina, Saints along the roads: difunta Correa, Gauchito Gil et San La Muerte

In the Argentine provinces, people’s fervor is directed to local saints, generally to community members sanctified on account of the injustice and violence of their premature death. The deaths are often of assasinated honored outlaw gauchos, as well as women of the people, exemplary devoted mothers, with occasional traces of local guarani beliefs. It is believed their tragic deaths makes them intercessors that can effectively convey the prayerful pleas for personal difficulties. Their growing popularity can be attributed to an aggravated economic situation and the sense that the elites, such as the public authorities are indifferent or cynical in the face of the people’s misery. These popular saints are perceived as being more accessible and fraternal. As to the religious aspect, these cults under study in the northeast region, are driven by multiple influences: the indigenous guarani culture, the heritage of local jesuit catholic missions, afro-bresilien borrowings from the nearby state of Parana. Three examples are presented here: the Difunta Correa (dead Lady Correa), the little Gaucho Gil, and San La Muerte (Saint Death).

Keywords: Argentinia, belief, place of worship, religion, saint, society, syncretism.

En Argentina, los santos están al lado del camino: Difunta Correa, Gauchito Gil y San La Muerte

En las provincias argentinas, el fervor popular se dirige hacia santos locales, generalmene siendo individuos populares sanctificados dado la injusticia y violencia de su muerte prematura. Frecuentemente las muertes son de gauchos, honorables bandidos pero tambien de mujeres del pueblo, madres de devocion ejemplar, y ocasionalmnete hay trazas de creencias autoctonas de los guarani. Se piensa que sus muertes tragicas les permiten ser eficaces intercesores para las plegarias de dificultades personales. La popularidad creciente de estos hechos se explica por la creciente gravedad de la situacion economica y el sentimiento que las elites, tanto como los poderes publicos quedan indiferentes o cinicos ante la miseria del pueblo. Se perciben estos santos populares como mas accesibles y fraternales. En cuanto al aspecto religioso, estos cultos bajo estudios de la region noroeste, hacen parte de multiples influencias : la cultura indigena de los guarani, la herencia local de las misiones jesuitas, y prestamos de la cultura afro-brasiliera del estado vecino de Parana. Se presentan tres ejemplos enseguida : la Difunta Correa, el Gauchito Gil y San Muerte.

Palabras claves: Argentina, creencia, lugar de culto, religión, santo, sincretismo, sociedad.

En Argentine, la ferveur populaire vénère, outre les saints de la liturgie catholique, dont l’histoire est parfois localement réécrite, des personnages légendifiés, héros de la mémoire collective ou empruntés aux traditions autochtones. Les cultes qui leur sont rendus, à l’origine ruraux et localisés, gagnent en influence et attirent aujourd’hui de nouveaux adeptes, comme en témoignent les nombreuses traces visibles le long des routes et de chemins sous forme d’oratoires.

La Difunta Correa, tutélaire et protectrice

Dans les provinces de Mendoza et de San Juan, cette ferveur se manifeste, à flanc de montagne, sous la forme d’amoncellements de bouteilles de plastique dont les plus anciennes, éclatées, se racornissent en éclats jaunâtres, tandis que sur le dessus, les plus récentes, d’un vert profond, suintent au soleil. En pleine montagne, on pourrait d’abord croire à une décharge sauvage. À y regarder de plus près, on distingue toujours au-dessus, nichées dans une anfractuosité, de minuscules chapelles, d’où partent ces éboulis de plastique. Ces sanctuaires sont dédiés à la Difunta Correa, la défunte Correa. Dans la chapelle miniature coincée entre les rochers, gît une statuette de femme, allongée et entourée de bougies blanches, un enfant sur sa poitrine. On raconte que cette femme, égarée dans ces montagnes désertiques, mourut de soif, son enfant serré contre sa poitrine et que l’enfant survécut, en tétant le lait de sa défunte mère. Les bouteilles que l’on vient déposer en offrande sont destinées au promeneur égaré et pris par la soif. Mais les bouteilles de plastique ne résistant ni au soleil, ni au vent, ni au gel, ne sauraient servir très longtemps de contenant. Il s’agit plutôt d’un prétexte, la véritable raison est cultuelle : on vient célébrer, par ces bouteilles et les bougies que l’on allume autour de la figurine, un miracle, celui du lait nourricier au-delà de la mort, celui de l’amour d’une mère plus fort que la mort. Le statut de la Difunta Correa est ambigu, ce n’est pas une sainte à proprement parler : elle n’a pas eu une conduite particulièrement pieuse ou exemplaire, elle est plutôt comme une figure maternelle tutélaire et protectrice. Son existence est proprement humaine : avec ceux qui viennent solliciter son aide, elle partage une même condition de femme du peuple, de chair et de sang. Cette figure maternelle rentre bien évidemment en résonnance avec celle de la vierge Marie, dont le culte est particulièrement présent en Amérique latine. Il y a une évidente parenté entre ces deux femmes, la Vierge Marie et la Difunta Correa, tenant entre leurs bras le corps d’un fils mort – ou destiné à une mort certaine –, puis ressuscité. La Difunta Correa est dans son petit oratoire andin, comme une vierge à l’enfant, et les prières qu’on lui adresse sont de même nature.

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