Actualité

Sur le démantèlement du camp de la Jungle : souffrances et silences


Emilie GRILLET

Emilie Grillet est psychologue clinicienne, Médecins Sans Frontières.

Pour citer cet article :

Grillet E. Sur le démantèlement du camp de la Jungle : souffrances et silences. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2017, volume 17, n°2, pp. 240-243


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/actualites/demantelement-camp-de-jungle-souffrances-silences/

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Le camp de la Lande faisait beaucoup parler. Tout le monde en France avait entendu parler de ce lieu, au moins par les médias. Ces images n’étaient pas habituelles pour notre pays développé. Cela ressemblait à un autre pays, mais entre l’effroi et l’incompréhension, nous n’en étions pas moins fascinés. Aujourd’hui le camp n’existe plus mais les histoires des personnes que j’y ai rencontrées demeurent…

Ils étaient des milliers : hommes, femmes, enfants, venus de pays instables politiquement ou économiquement. Ils recherchaient la paix, la sécurité, la justice, la liberté… Pour beaucoup, Calais représentait la porte de l’Angleterre, terre idéalisée. Mais pour d’autres, ce camp était leur chance d’obtenir l’asile en France. Ici, les associations leur apportaient de l’aide. Dans ce camp appelé « Jungle » par les habitants eux-mêmes, comme dans n’importe quelle société, il y avait des histoires de vie bien différentes : des bons et des moins bons, des rêveurs, des violents, des artistes, des assoiffés de travail, des trafiquants, des courageux, tous rescapés de la vie… Au lendemain de cette expérience de quelques mois, je suis surprise de l’intensité des souvenirs qu’il m’en reste. Je n’oublie pas les visages, les parcours de vie, la détresse de mes patients, leur courage. Et si j’avais douté de la pertinence de mon travail au sein d’un camp de réfugiés, j’en saisis aujourd’hui l’importance. Dans un lieu de consultation improvisé, nous permettions la reconnaissance de leur existence. Le sentiment d’existence, base de vie psychique pour tout un chacun, avait été bien malmené par les multiples traumatismes vécus. Confrontés à la mort réelle, survivants mais traumatisés, il s’agissait pour mes patients de sentir la vie en eux. C’est en se racontant qu’ils tissaient leur histoire, lui donnant une forme réelle, incarnée, inscrite dans le temps. En mettant des mots sur les événements vécus, ils redonnaient une continuité à leur vie. Également, en s’appuyant sur leurs relations avec les traducteurs et avec moi-même, ils ré-expérimentaient la bienveillance, ils retrouvaient peu à peu confiance en l’autre. Les tortures subies avaient mis à mal leur capacité à être en relation, c’était ce que nous tentions de réanimer.

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